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Mais une influence que l’on s’étonnera que M. Pellissier n’ait pas notée, ni seulement indiquée, je crois, c’est celle du Naturalisme ou du Réalisme en peinture sur l’évolution littéraire de la seconde moitié du siècle. Elle a été cependant considérable ; et, même, comme autrefois au XVIIe siècle ils avaient fait le nom de Naturalisme, ne sont-ce pas les peintres, en notre temps, n’est-ce pas Courbet, si je ne me trompe, ne sont-ce pas les admirateurs de l’Enterrement d’Ornans ou des Casseurs de pierres, qui ont acclimaté, répandu, et popularisé le nom de Réalisme ? C’est qu’aussi bien le peintre n’en saurait user avec nous de la même liberté que le poète. Il y a mille moyens, au théâtre ou dans le roman, de déguiser adroitement aux yeux la faiblesse ou l’insuffisance de l’observation ; il y en a beaucoup moins en peinture, où l’on n’a pas besoin seulement de se connaître pour juger de la ressemblance et de la fidélité de l’imitation. Les procédés d’un art dont l’objet ou la base est la reproduction du réel tiennent le peintre, en quelque manière, toujours plus près de la nature ; et le « modèle vivant » le ramène constamment à la vérité de la forme, si par hasard il était tenté de s’en écarter.

Si l’on songe maintenant que nulle part, en aucun temps, les peintres et les poètes n’ont vécu dans une intimité plus étroite, si l’on se rappelle que nulle part les questions d’art n’ont été plus passionnément agitées que dans les cénacles romantiques ; si l’on fait attention que la moindre ambition de l’auteur des Orientales ou de celui d’Émaux et Camées n’a pas été de rivaliser avec les peintres de relief et d’éclat, de coloris et de pittoresque, on comprendra sans peine qu’étant indivisibles, les destinées de la peinture et de la poésie romantiques soient demeurées solidaires dans l’histoire ; que, comme il y avait échange d’ambitions entre le poète et le peintre, il y ait également eu communication de fortunes ; et qu’enfin tout ce que le Réalisme ou Naturalisme a fait pour ramener la peinture à la fidélité de l’observation, il l’ait fait contre le Romantisme. Qu’après cela d’ailleurs les conditions de l’art de peindre ne soient pas celles de l’art d’écrire, j’en conviens sans difficulté. Même, j’ai plusieurs fois essayé de montrer que ni l’un ni l’autre art n’avait rien à gagner dans ce commerce de moyens. Je dis seulement qu’aux environs de 1850, et dans le même temps que le théâtre et le roman s’efforçaient de nous persuader que l’imitation de la vie suffit à la gloire de l’artiste, les peintres l’ont fait voir aux yeux. Les uns et les autres s’adressaient au même public ; ils lui parlaient par les mêmes moyens ; ils répondaient enfin aux mêmes exigences ; — et, dans un livre comme celui de M. Pellissier, sur le Mouvement littéraire au XIXe siècle, je pense que c’était le lieu de le dire.