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Car ce n’est pas tout ; et il en eût tiré cet autre avantage encore, de pouvoir indiquer précisément en quel temps, sous quelle influence, dans la poésie même et généralement dans l’art d’écrire, se sont insinués ces scrupules de forme dont on peut bien dire que les romantiques avaient déshabitué l’écrivain. C’est Victor Hugo qui corrigeait ce qu’un peu d’art eût aisément effacé d’imperfections dans Ruy Blas, en écrivant les Burgraves. Quand on osait critiquer dans la Chute d’un ange quelques rimes plus faibles, ou, à vrai dire, des rimes qui n’en étaient point, c’est Lamartine qui répondait que la faute en était à Paul de Saint-Victor. Musset, à peine plus difficile sur ses rimes, l’était bien moins encore sur la plupart de ses métaphores. Et, généralement, un romantique avait de si belles choses à dire, qu’il n’y fallait pas regarder à la forme, de peur qu’elle n’attirât sur elle une attention qui n’était due qu’au fond. Mais on sait qu’aujourd’hui, si nous donnions dans un excès, ce serait dans le contraire, et le danger n’est pas qu’on manque d’art, mais qu’on réduise l’art au métier. Je ne puis m’empêcher de croire que nous le devons à l’exemple des peintres. Ils nous ont appris ce que peut à lui seul le mérite de la forme ; et, que d’un peintre à un barbouilleur, c’est l’exécution, c’est la technique, c’est l’habileté de main qui font souvent la différence. Tout de même, une idée n’existe que par l’expression qu’on en donne, et c’est le style qui fait le prix des pensées. Si les classiques avaient jadis enseigné quelque chose de cela, on l’avait oublié. On s’en ressouvint quand les artistes eurent recommencé de le dire. On comprit de nouveau que c’est un métier de faire un livre, « comme de faire une pendule ; » un métier qui s’apprend, et conséquemment qui s’enseigne ; — et c’est ainsi ; qu’insensiblement, sur les débris du Romantisme, en moins d’une dizaine d’années, presque tout ce qu’il avait prétendu renverser se trouva rétabli.


V

C’est ce qu’il sera, sinon plus intéressant, du moins plus important de montrer, — et d’ailleurs plus conforme à l’idée générale du livre de M. Pellissier, — que de juger à leur tour les jugemens qu’il porte sur nos contemporains, sur MM. Leconte de Lisle et Théodore de Banville, sur l’auteur du Mariage d’Olympe et sur celui du Demi-Monde ; sur M. Taine et sur M. Renan, sur l’auteur de Monsieur de Camors et sur celui de l’Aventure de Ladislas Bolski, sur M. Alphonse Daudet et sur M. Emile Zola. Non pas que j’y recule ni même, s’il le fallait, que je fusse embarrassé de dire ce que j’en pense. Mais c’est pour ne point brouiller les questions, aujourd’hui ; c’est pour ne pas risquer de perdre de vue le sujet