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sommet du corps social, comme monte-au-dessus du taillis, un arbre en pleine sève, quand on abat les voisins qui lui disputaient, l’air et la lumière. M. Goumy impute ce calcul aux gens du Tiers, quand ils repoussent à la constituante la proposition d’une chambre haute. « Les bourgeois n’eussent plus été les seuls maîtres de l’état, ce qui était pour eux la raison d’être et la fin de la Révolution. » Je crois qu’il fait tort au désintéressement des premiers idéologues. Mais le mot est devenu juste pour leurs héritiers, mis en possession. À ce moment, après 1830, les principes de 1789 ont rendu tout ce qu’ils pouvaient rendre pour le Tiers. Leur œuvre est achevée, il n’y a plus qu’à arrêter leur végétation turbulente. La nouvelle aristocratie jouira de l’institution révolutionnaire, comme faisait l’ancienne, quand, ayant rejeté les charges de l’institution féodale, elle ne retenait plus que les bénéfices compensateurs de ces charges. La liberté devient « les libertés ; » libertés de la presse, de la tribune, etc. « Libertés du luxe, qui ne servent qu’aux classes dites libérales, » comme le remarque M. Lorrain, dans sa France contemporaine.

Oui, mais les gens de l’étage intérieur, du quatrième état ? A leur tour, ils apprennent à lire la Déclaration des droits ; ils lui demandent leur part ; non pas les libertés de luxe ; mais le seul droit qui ait un prix réel à cet étage, le droit à la vie facile ; et pour y arriver, le droit au vote. Les principes, qui ont fini de travailler pour les inventeurs, commencent seulement leur travail pour les autres. A la première secousse qu’ils provoquent dans le sous-sol, l’édifice, bourgeois croule sur sa base précaire, l’argent, car s’il n’y a pas de base plus naturelle, après la force pure, il n’y en a pas de plus précaire, puisque chacun a l’espoir de la déplacer à son profit. La révolution de 1848 est faite de concert par l’ennui lyrique des gens d’en haut, qui ne savent plus de quoi nourrir leur rêve, et par la révolte des gens d’en bas, qui demandent à nourrir leur corps. Voici les chefs de la nouvelle alliance, Lamartine, Ledru-Rollin et leurs acolytes, sur ce coin de tableau où ils passent si vite. Caliban n’est pas encore de taille à lutter avec ses maîtres. Mais du premier coup d’épaule, il a fait craquer la Déclaration ; il lui a arraché une de ses conséquences nécessaires, le suffrage universel ; il l’a mise en demeure, puisqu’elle est la prophétie vague ; qui promet à tous toutes les satisfactions, de donner l’égalité idéale, celle des biens, et le droit essentiel : le droit au travail, comme disent ceux qui raisonnent un peu, le droit aux jouissances, comme pensent ceux qui sentent et ne raisonnent pas, le grand nombre.. — La bourgeoisie se ressaisit ; dans son apeurement, elle a recours au remède qui avait réussi cinquante ans plus tôt ; ces principes qu’elle chérit en