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la distance énorme. A défaut de l’émigration active et continue, nous ne triompherons des difficultés que créent cette disproportion et cette distance qu’à la condition de relever, avec la situation qui leur est faite, le niveau intellectuel et moral des fonctionnaires de tout rang chargés d’administrer au loin nos colonies naissantes. Pour cela, choisir les plus capables, élever leurs pouvoirs à la hauteur de leurs responsabilités, modifier l’opinion erronée que les capacités doivent refluer au centre, et qu’aux extrémités les médiocrités suffisent. C’est à distance et au loin que les erreurs sont dangereuses, lentes et difficiles à réparer, et que la valeur morale de ceux qui dirigent et commandent doit se hausser au niveau des responsabilités à assumer, de l’importance des décisions à prendre.

Prolongement de la France au-delà de la Méditerranée, l’Algérie, nonobstant l’infériorité du chiffre des colons à celui des indigènes, s’assimile de plus en plus à la France. Si fière et si indépendante que soit une race, elle finit toujours par subir l’ascendant d’un vainqueur intelligent et tolérant qui lui donne, avec la sécurité, les moyens de vivre et de s’enrichir. Romaniser, comme le faisait Rome avec ses rois sujets, une contrée qu’elle convertissait plus tard en province, ouvrant largement aux nouveaux-venus la porte de la Cité, est enfin devenu, après bien des essais, le procédé adopté. Les traditions de Rome survivent sur ce sol où elle a laissé des traces profondes. En les reprenant, la première des races latines ne fait que renouer la chaîne brisée.


III

Auprès du palais de l’Algérie, dont le sépare l’exposition de ses forêts de chênes-liège, la Tunisie dresse le sien, construit par M. Henri Saladin, et dont on ne saurait trop louer l’intéressante et savante disposition. Ici encore l’on a prodigué les cartes, les statistiques et les chiffres. Ils ont leur éloquence. Le jeune et brillant architecte s’est heureusement inspiré, lui aussi, de ses études en Tunisie, des documens sur l’art arabe recueillis dans le cours de deux missions confiées par le ministère de l’instruction publique. Il a demandé au Bardà, à la zaouia de Sidi-Ben-Arouz, au souk El-Bey, sa façade principale et ses principaux motifs d’ornemental-tion ; à la mosquée d’Okba, à la porte de la Salla Réjour, sa façade de gauche surplombant une cour originale que borde le bazar voûté, ou Souk tunisien, et le pavillon du Djérid.

Ici aussi une large place est faite aux souvenirs du passé. Voici le temple de Suffetula, avec son enceinte à peine entamée par les siècles, sa vaste cour jonchée de débris d’où émergent des fûts de colonnes, sa façade éventrée gardant grand air. Bustes romains,