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nouveaux, la hauteur de manières par laquelle il se rattache, quand il le veut, aux vieilles races aristocratiques.

Surtout, il ne passe nulle part inaperçu. « Monsieur l’ouragan, » comme l’appelle son père, emporte de haute lutte les positions les plus difficiles. A Versailles, il se fait tout de suite sa place à la cour, il s’impose par son esprit et par son originalité autant que par la qualité de ses alliances. La première fois qu’il est présenté au vieux comte de Maurepas, il le saisit par le bouton de son justaucorps. « Au reste, écrit le marquis au bailli, depuis cinq cents ans on a toujours souffert des Mirabeau qui n’étaient pas faits comme les autres, on souffrira encore celui-ci. Je te promets en outre que celui-là ne descendra pas le nom. »

Mirabeau aborde avec la même confiance en soi et la même audace l’entreprise capitale de sa jeunesse. Il se met en tête d’épouser une des plus riches héritières de Provence, Mlle de Marignane, que se disputent les principaux gentilshommes du pays ; il a contre lui la famille et l’entourage de la jeune personne. Celle-ci ne témoigne même pas pour lui un goût très vif, elle paraît hésiter entre ses nombreux prétendans. Mais il la presse, il abuse de son humeur pacifique, il réussit à la compromettre et à rendre le mariage indispensable. Victoire sans lendemain du reste, qui n’a ni plus de durée ni plus de portée qu’une aventure. Au bout de quinze mois de mariage, Mirabeau, quoique sa femme et lui eussent un fort beau revenu, avait déjà souscrit pour 200,000 livres de lettres de change. Son père et son beau-père, justement effrayés, ne trouvaient d’autre moyen de le soustraire aux poursuites de ses créanciers que de le placer sous la main du roi, suivant l’expression du temps, en le faisant enfermer au château de Mirabeau.

Tel fut le commencement d’une série d’emprisonnemens qui allaient jeter le jeune comte hors de la famille et de la société. Interné au début à Mirabeau, un peu plus tard à Manosque, il commet l’imprudence de rompre son ban et d’aller se prendre de querelle à Grasse avec un gentilhomme provençal. Cette fois, il est accusé d’avoir voulu assassiner son adversaire et décrété de prise de corps. Le marquis en est réduit pour le sauver à solliciter des ministres l’internement de son fils au château d’If par une lettre de cachet.

C’est là un procédé dont l’Ami des hommes se servira trop souvent contre les membres de sa famille, que le pouvoir royal aura le tort de mettre à sa disposition, et dont l’abus pèse sur sa mémoire comme une infraction impardonnable aux idées de justice dont il se faisait volontiers le représentant. Les lettres de cachet sont un des plus odieux souvenirs de l’ancien régime. On peut juger de