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femme mariée, la femme d’un premier président, c’était un scandale qui devait l’exposer, lui et sa complice, à la répression la plus sévère.

Si la société du XVIIIe siècle avait des trésors d’indulgence pour les amours élégantes et discrètes, la sévérité des lois romaines et des ordonnances des rois de France subsistait tout entière pour l’adultère affiché et public. Le séducteur risquait sa tête dans cette aventure. Il fut, en effet, condamné par contumace à la peine capitale, tandis que le même jugement condamnait Mme de Monnier à être enfermée, sa vie durant, dans une maison de refuge de Besançon « pour y être rasée et vêtue comme les filles de la communauté. »

Mirabeau n’ignorait pas cette conséquence certaine de sa fuite. Quelle fut donc la raison qui le décida à braver le péril ? Il a dit et peut-être même a-t-il cru sincèrement qu’il était alors emporté par la violence de sa passion. L’excuse est plus vraie pour Mme de Monnier que pour lui. Sophie s’était donnée tout entière avec la véhémence d’une nature passionnée, avec le dévoûment et l’esprit d’abnégation que les femmes apportent plus que les hommes dans les sacrifices que demande l’amour. Elle revendiqua hautement la responsabilité de son départ et s’employa généreusement à laver son amant de l’accusation de rapt. « C’est moi qui ai tout voulu, » écrivait-elle en se découvrant avec une vaillance qui la relève. D’esprit un peu court, avec un tempérament et des mœurs de fille, avec un cynisme de langage qui rend la lecture de ses lettres secrètes intolérable pour les esprits délicats, elle savait du moins se dévouer et souffrir pour celui qu’elle aimait. Sans hésiter elle eût pris sur elle tout le châtiment comme elle prenait toute la faute. Quoi que Mirabeau put dire, il n’était pas au même diapason. L’amour ne fut pas le seul mobile de sa fuite avec Mme de Monnier.

Criblé de dettes, n’ayant d’autre ressource que la très modique pension que lui faisait son père, s’il passait seul à l’étranger, il y trouvait la misère noire. La pension elle-même allait cesser de lui être servie dès qu’il aurait franchi la frontière. Mme de Monnier pouvait seule le tirer de cette difficulté. Elle était de ces femmes qui « fournissent à leurs amans, » comme on disait dans la langue du XVIIIe siècle ; Mirabeau le savait quand il l’avait aimée, et il ne se faisait pas faute d’en profiter.

Les mémoires et les comédies du temps indiquent que, sous l’ancien régime, on n’attachait pas aux libéralités de ce genre une idée de déshonneur absolu pour le jeune homme de qualité qui en était l’objet. On riait aux dépens de la personne libérale, surtout si elle était vieille ; mais on ne traitait pas avec trop de sévérité