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première ordonnance » les avait liés pour la vie. Malheureusement, la mère de ce jeune homme avait jadis un peu fait parler d’elle ; même, son mari s’en était séparé bruyamment ; et il n’avait pas pu, je crois, désavouer l’enfant, parce qu’il y a des lois là-dessus, mais enfin il l’avait renié. Cette considération n’eût pas empêché le père Lebonnard de faire le bonheur de sa fille en la donnant à son médecin ; il avait ses idées ; et, puisque sa femme avait marié son fils à son gré, il pensait que ce fût à son tour, à lui, de marier sa fille comme il l’entendrait, et il agissait selon qu’il pensait. C’était un homme doux, mais ferme.

Croiriez-vous cependant qu’aussitôt qu’elle apprit les intentions de son mari, Mme Lebonnard, assez étonnée, commença d’entrer dans une violente fureur ? Oui ; elle déclara qu’elle avait fait choix d’un autre mari pour sa fille, mit fort impertinemment le médecin à la porte, et jura ses grands dieux que, de son vivant, un pareil mariage n’aurait jamais lieu. De son côté, la petite marquise, qui aimait pourtant bien son petit Lebonnard, lui signifia nettement que « ses préjugés » de noblesse et d’honneur, — car elle savait très bien que ce n’étaient que des préjugés, — lui défendraient toujours d’accepter un pareil beau-frère. Elle essaya vainement de les faire partager à Jeanne Lebonnard. Le marquis lui-même parla fort bien de l’hérédité, mais ne gagna rien sur l’esprit du père. Et enfin, le fils Lebonnard, atteint du même coup plus profondément qu’on ne l’eût cru dans son amour et dans son orgueil, après avoir aussi lui, sans succès, essayé de provoquer en duel le médecin de sa sœur, et de faire renoncer sa sœur à son médecin, il prit contre son père, avec une violence outrageuse, le parti de sa mère et de sa fiancée, — et le sien.

La situation devenait embarrassante, et le père Lebonnard, avec toute sa douceur, s’en serait malaisément tiré, si, par un hasard qu’on pourrait appeler presque providentiel, sa femme ne l’eût trompé lui-même, avec un comte, quinze ou seize ans auparavant, et qu’il ne dépendît ainsi que de lui de mettre le


Fils du comte d’Aubly, — dit Robert Lebonnard,


dans la situation du prétendu beau-frère que ce fier jeune homme avait si insolemment repoussé. Il s’y résolut donc. Seulement, tandis qu’un autre eût fait discrètement entendre à sa femme qu’il « savait tout, » et l’eût chargée de faire entendre raison à son fils, lui, comme il était très doux, il leur fit à tous deux, en leur prodiguant les noms d’adultère et de bâtard, une scène effroyable. Et le moyen s’en trouva bon. Accablé sous le poids de cette révélation, le jeune Lebonnard en fit une maladie ; et, quand il fut guéri, il voulut s’engager. On le loua fort de