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flatter, allant de la Ciguë à l’Aventurière ou à Gabrielle, de l’Aventurière au Mariage d’Olympe et au Gendre de M. Poirier, pour arriver enfin à toutes ces œuvres de sa forte maturité, les Effrontés, Maître Guérin, la Contagion, la Jeunesse, les Fourchambault. Il a commencé par la poésie, il a fini par la comédie de mœurs, où il a pu déployer tous les dons d’un observateur sagace, pénétrant et hardi, habile à saisir les travers, les ridicules, les hypocrisies et les vices de la société où il a vécu.

Les œuvres de M. Émile Augier sont certes singulièrement variées. Elles vont de la fantaisie de Philiberte ou du Joueur de flûte aux crudités réalistes du bonhomme Guérin ou d’un Giboyer ; mais ce qu’il y a de frappant dans toutes ces créations, à travers les diversités du talent, c’est que cet inventeur reste avant tout, entre tous ses contemporains, un esprit de la véritable lignée française. Ce qui fait son originalité, c’est ce tempérament partout sensible d’un écrivain à la fois robuste et sain, vigoureux et mesuré, peu enclin aux subtilités et aux excentricités, railleur et sarcastique sans amertume, libre et hardi de propos sans dépravation, réunissant, en un mot, dans un juste équilibre les qualités et peut-être les défauts de ce qui s’est toujours appelé l’esprit français. M. Émile Augier était visiblement de la race des continuateurs de la vieille comédie française ; il en avait l’esprit, il en avait aussi la langue. Et l’homme chez lui n’était pas moins attachant que l’écrivain. Tout dans cette nature respirait la cordialité, la franchise, la droiture et le plaisir de vivre. Il avait été heureux, il avait mérité de l’être, n’ayant jamais connu les mécomptes de l’ambition déçue pas plus que les tourmens de l’envie. Ses succès, qui ne coûtaient rien au bon goût, ni à la dignité morale, suffisaient à ses vœux, et les succès des autres ne l’empêchaient pas de dormir, Ce maître de la scène était le plus bienveillant, le plus simple, le plus loyal des hommes, et si la mort, qui nous l’enlève, semble plus cruelle, c’est que nous vivons dans des temps où la France n’a pas trop de tout ce qui fait sa force et sa noblesse ou même sa parure devant le monde ; plus que jamais elle a besoin de tous ceux qui représentent, dans les lettres comme dans la politique, le bon sens, la modération et l’honneur.

Où donc en est maintenant l’Europe après tous les voyages et les entrevues princières de ces derniers temps ? Que reste-t-il de ces incidens d’un jour ? L’empereur Alexandre III de Russie est rentré à Saint-Pétersbourg. L’empereur Guillaume, laissant son parlement s’ouvrir tout seul à Berlin, discuter tout seul, même en l’absence du chancelier, sur la loi contre les socialistes, sur le budget ou sur les nouveaux arméniens, l’empereur Guillaume s’est hâté de partir pour Athènes, où il vient de présider au mariage de sa sœur, et avant peu il sera à Constantinople. L’empereur François-Joseph n’a point quitté son empire ; mais son chancelier, le comte Kalnoky, va maintenant à Fried-