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talent, ensuite parce qu’il nous permet de reconnaître quelques-unes des provinces de ce vaste royaume de féerie que Michelet appelait si justement le plus puissant du moyen âge, enfin parce qu’il nous semble découvrir qu’il a laissé des traces assez profondes chez les hommes d’imagination de son pays. D’ailleurs, l’examen de ses qualités de conteur intéresse directement la thèse que nous avons soulevée, à savoir qu’il faut moins chercher dans son livre un voyageur qu’un philosophe qui protège ses opinions des mœurs et des croyances des pays qu’il a ou prétend avoir traversés.

Quel degré de confiance convient-il de lui accorder ? Il n’y a pas eu à son sujet de question plus controversée parmi les érudits de son pays, les uns le tenant pour plus digne de foi qu’on ne veut bien le dire, d’autres pour un mystificateur habile qui a en l’art de servira ses contemporains un plat conforme au goût qu’il leur avait reconnu, d’autres enfin pour un simple imposteur et son livre pour un tissu de mensonges. Crédule et menteur, telles sont les deux épithètes invariablement accolées à son nom ; mais quoiqu’il soit assurément l’an et l’autre, il est beaucoup plus délicat qu’on ne le croirait de se prononcer sur la créance qu’il mérite à moins qu’on ne se range à l’avis que nous proposons. Si, en effet, il s’est proposé un but philosophique, tout s’explique. Il importe peu alors que les choses qu’il raconte soient en partie vraies, en partie compilées et en partie inventées, que non content de parler des mœurs des pays qu’il a vus, et de colles des pays où il n’a visiblement jamais mis le pied, il y ajoute des îles de son invention qu’il baptise des noms d’Oxydrate et de Gymnosophe, en souvenir de ses lectures de Quinte-Curce. Mais si, comme on l’a toujours fait, on le tient pour un simple voyageur, la question devient de solution beaucoup plus difficile, et cette solution, quelle qu’elle soit, restera toujours douteuse et laissera le jugement mal satisfait, — ce que nous allons essayer de montrer.

Si Maundeville est un simple voyageur, on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas bénéficier de ces circonstances atténuantes que l’on accorde libéralement à tous ses prédécesseurs. Il est crédule, mais tous ces vieux voyageurs du moyen âge le sont terriblement, et leur crédulité ne nous choque pas plus qu’il ne faut, parce que nous en comprenons aisément les raisons. Ils sortaient de civilisations naïves où la religion, suprême magicienne, faisait le tout de la vie morale, et les pays qu’ils quittaient pour aller au-devant des merveilles qu’ils racontent avaient eux-mêmes un stock de fables, superstitions, croyances traditionnelles assez bien approvisionné. Ils en avaient été nourris, amusés, effrayés ; quelque esprit qu’ils eussent, et souvent même en proportion de l’esprit qu’ils avaient,