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gouvernement était tel que la cour et la ville influaient sur les affaires, que le ministère avait peu de crédit pour les résoudre, il crut devoir nous traiter en république, où l’on doit capter les suffrages de la multitude[1]. »

Ce tableau, si piquant et pris sur le vif, n’est pourtant pas complètement exact : les causeurs que Wassenaer cherchait à éblouir n’étaient pas tous des partisans de la paix à tout prix ; il y en avait, au contraire, qui, justement fiers des victoires de Maurice, désiraient qu’il poussât sa pointe, et qui n’étaient pas disposés à laisser les bourgeois d’Amsterdam se faire les arbitres du sort du monde. A ceux-là Wassenaer tint aussi un langage approprié à leurs sentimens : il leur laissa entrevoir que, pour peu qu’on lui permit d’offrir à l’Angleterre des conditions sortables, après que la proposition aurait été rejetée, les États-généraux, se croyant dégagés, seraient libres de traiter séparément pour leur compte. C’est en particulier ce qu’il fit entendre au marquis de Fénelon, que d’Argenson lui avait envoyé pour le sonder et qui avait réside trop longtemps en Hollande, en qualité d’ambassadeur, pour qu’on pût espérer de lui faire illusion sur la vérité de la situation. — « vous le verrez, écrivait le marquis au ministre, vous attirer dans le principe d’embrasser à la fois la totalité de la paix générale : il en reconnaît cependant la difficulté et ne paraît pas éloigné de pouvoir en venir à penser que, pour y arriver, il faudra commencer par un bout[2]. » — L’avis était donné évidemment à d’Argenson pour le mettre en garde contre le piège qu’on s’apprêtait à lui tendre, en substituant à une capitulation particulière, qui devait être enlevée de haute lutte, une négociation générale qui tramerait indéfiniment en longueur.

Effectivement, ce dont Wassenaer était averti d’avance, même en quittant La Haye, et ce dont il ne pouvait manquer de vouloir profiter, c’était des sentimens de modération instinctive dont

  1. Journal et Mémoires de d’Argenson, t. IV, p. 338.
  2. Fénelon à d’Argenson, 24 février 1746. (Correspondance de Hollande, — Ministère des affaires étrangères.) — C’est probablement à cet entretien que d’Argenson fait allusion quand il ajoute au tableau que je viens de citer cette remarque : « Il s’est encore engagé, dans plusieurs conversations sérieuses, à dire que si ses maîtres ne pouvaient déterminer à la paix labour de Londres, les États-généraux la feraient seuls, ce qui n’était pas vrai. » D’Argenson se trompait au moins sur les dispositions de Wassenaer lui-même ; car il résulte des dépêches de cet agent, publiées à La Haye, que bien qu’obligé, par ses instructions, à ne négocier que sur les bases d’une paix générale, il inclinait lui-même à accepter une paix séparée avec la neutralité au profit de la Hollande, et qu’il engageait son gouvernement à s’y résigner. (Voir Jonge : Histoire de la diplomatie pendant la guerre de la succession d’Autriche, publiée à La Haye en 1852, p. 187 et 189.)