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tactique. — La répartition sur plusieurs lignes n’implique donc pas l’idée d’une série de fronts déployés, mais bien d’une succession de forces disposées en échelons. Cette définition était nécessaire pour combattre la légende assez communément répandue, en vertu de laquelle il ne se trouverait pas en Europe, en dehors des camps d’instruction, de terrains propres à l’action de la cavalerie.

Une telle opinion repose sur une notion bien superficielle de la tactique de cette arme. Quelles expériences, quels faits de guerre permettent de conclure à la nécessité de ces fronts étendus, alors que toute l’histoire militaire montre que les combats de cavalerie, loin de se développer en une ligne continue, se sont presque toujours livrés en profondeur, par échelons, par une succession de groupes jetés l’un après L’autre sur l’objectif commun ?

Croit-on qu’à Kollin et à Rosbach, Zicthen et Seydlitz aient conduit à la charge l’un 65 et l’autre 48 escadrons sur un seul front ? A Prague, l’on vit de part et d’autre 70 et 80 escadrons entrer en lutte ; à Aspern et à Eylau, Bessières et Murat chargent à la tête de 40 et de 80 escadrons ; à Kœniggratz, deux divisions de cavalerie se précipitent sur l’ennemi vainqueur. Croit-on que ces masses de cavalerie aient combattu en un seul bloc et sur une seule ligne ?

De tout temps, le sol a présenté des obstacles, des fossés ou des barrières ; de tout temps, cependant, les cavaleries victorieuses ont agi par grandes masses. Le terrain est un facteur commun aux deux adversaires ; mais, le tacticien saura toujours en tirer parti pour imposer, — et ne pas subir, — le combat ; pour n’engager ses troupes qu’au fur et à mesure des besoins ; pour se ménager la dernière réserve. C’est tout le secret et toute la force du mécanisme des lignes. Ce caractère du combat, joint à son instantanéité, exige de chaque chef de ligne ou d’échelon une collaboration rapide et constante. Chacun d’eux, par le coup d’œil, par l’à-propos, par la décision, doit se montrer tour à tour, dans la mesure de ses forces, un tacticien.

Or si l’aptitude au commandement est plus ou moins géniale, l’habileté manœuvrière s’acquiert. Elle est le fruit d’une longue pratique, d’une sorte de gymnastique particulière qui, en même temps qu’elle exerce l’ouvrier, façonne aussi l’instrument. Alors le mécanisme agit sans efforts, le jeu des rouages fonctionne sans frottement, la masse se meut promptement et aisément dans tous les sens. Un tel résultat ne s’obtient qu’au prix d’exercices répétés. Même les mouvemens les plus simples sont d’une exécution difficile. Tel un tireur prudent, pour porter avec sûreté un coup droit, doit se livrer à de fréquens assauts ; telle la cavalerie, pour arriver à l’instantanéité manœuvrière qui doit caractériser son action,