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trop accommodante, — dans l’inspiration des chefs et dans le cœur des soldats, semble vouloir nous ramener aux procédés héroïques, sans tenir compte des progrès accumulés. Comme si une seule arme aujourd’hui pouvait échapper à la nécessité constante de travailler et d’agir, comme si la cavalerie, particulièrement, ne combattait pas, ne vivait pas par le mouvement, par l’action ! Au fond, que réclament donc ces partisans d’une tactique aussi élémentaire ? — De dormir en paix ? La trompette allemande se chargerait de sonner le réveil !


Donc il fallait multiplier les champs d’expériences, étudier dans leurs détails ces rouages nouveaux, les faire fonctionner dans tous les sens, en un mot acquérir la pratique absolue du mécanisme ; puis, l’instrument prêt, créer des ouvriers habiles à son emploi. Tel était le but des manœuvres spéciales. Si l’épreuve a été longue, elle a été aussi concluante.

Lorsqu’en 1881, on réunit des divisions entières pour manœuvrer dans les plaines de Châlons, de Vézelise et d’Avor, ou se trouva en présence de masses dont chaque élément, pris isolément, était souple et alerte, dont l’ensemble était lourd, rigide, inerte. Pour mettre en mouvement le mécanisme complet, il fallait passer par une longue série d’efforts et de répétitions. Cependant, pendant cinq années, ces manœuvres se succédèrent ; on y convoquait sans distinction les régimens de cavalerie indépendante ou de cavalerie de corps. Un moment, on put croire que toute l’arme allait venir se retremper à ces sources fécondes et y acquérir le complément d’instruction que l’exiguïté des terrains habituels de garnison ne lui permettait pas d’atteindre. Cet espoir fut déçu. Soit que les dépenses eussent paru trop lourdes, soit que le particularisme naissant de la cavalerie eût semblé suspect, on supprima tout à coup les manœuvres spéciales. Elles reprirent, mais modifiées, en 1887.

Si cette interruption fâcheuse a été de courte durée, elle n’en a pas moins permis de mesurer le chemin parcouru. Entre les manœuvres du début et celles des deux dernières années, on a pu remarquer une différence profonde. Tandis, en effet, qu’en 1881 les généraux étaient obligés d’intervenir dans les détails même des évolutions, d’en faire répéter, pièce à pièce, les plus petites phases ; en 1888, au contraire, ils pouvaient se borner à la recherche de l’idée tactique. N’ayant plus le souci du choix des moyens, ils se préoccupaient seulement du but. La mise au point était complète. Ainsi ressort, par l’évidence même des progrès accomplis, l’utilité des manœuvres des masses. Des divisions de cavalerie qui y ont pris part, elles ont fait un outil maniable, bien