dans la crainte d’être accusé, soit de me substituer à lui pour lui prêter les miennes propres, soit de découvrir dans son livre par fantaisie d’imagination autre chose que ce qu’il contient réellement. Nous pousserons la précaution jusqu’au bout, et nous le chargerons de conclure à notre place. Il a pris ce soin lui-même dans une de ses dernières pages où il a résumé les opinions éparses dans son livre de manière à lever les derniers doutes que les lecteurs dedans pourraient conserver encore :
Et vous comprendrez que de tous les divers peuples dont je vous ai parlé, il n’en est aucun qui n’ait dans ses lois et ses croyances quelque raison et quelque intelligence, aucun qui n’ait certains articles de notre foi, et quelques bonnes parties de nos croyances. Ils croient en Dieu qui créa toutes choses et fit le monde, quoiqu’ils ne puissent pas à cet égard s’expliquer ses perfections (car il n’y a personne pour les enseigner), mais seulement parler comme leur intelligence naturelle le leur permet. Ils n’ont pas connaissance du Fils et du Saint-Esprit, mais ils peuvent tous parler de la Bible, surtout de la Genèse, des lois des prophètes et des livres de Moïse. Et ils disent très bien que les créatures qu’ils adorent ne sont pas des dieux, mais qu’ils les adorent pour les vertus qui sont en elles. Quant aux simulacres et aux idoles, ils disent qu’il n’y a pas de peuple qui n’ait des simulacres. Ils disent que nous chrétiens nous avons des images auxquelles nous rendons un culte, comme celles de Notre-Dame et des autres saints, et que ce ne sont pas les images de bois et de pierre que nous adorons, mais les saints aux noms desquels ces images sont faites…
On n’abuse pas des adversaires intellectuels, a dit quelque part M. Guizot, — à propos de l’hérésiarque Bérenger de Tours, si ma mémoire est bonne. Le mot est vrai, cependant la chose qu’il nie est arrivée fort souvent. Cela dépend beaucoup de la forme sous laquelle les idées sont présentées. A peu près impossible, lorsque les idées sont produites a priori et sous forme dogmatique, la duperie est au contraire aisée lorsqu’elles se présentent a posteriori, par le moyen de faits et comme conséquence de faits, ou que, protégées par des formes allégoriques, elles donnent à deviner leur nom ou leur secret. Dans ce dernier cas, les œuvres peuvent être susceptibles des interprétations les plus diverses et même les plus contraires, et Maundeville en est un exemple mémorable. Veut-on, en effet, à toute force, que son livre soit catholique, on le peut, et il est certain que le pape lui-même a pu s’y tromper, bien qu’il eût dû être averti, non-seulement par ces exhortations à la réforme