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pour le moment à dresser des plans de conquête, car le lendemain il y a soirée chez le vicaire M. Thornburgh, et Mrs Thornburgh, qui a la manie des mariages, tient à ce que ses voisines se montrent sous l’aspect Je plus avantageux à un jeune prêtre d’avenir, venu en visite chez elle. Même elle a fait recommander à Catherine de se coiffer d’une certaine façon qu’elle a récemment adoptée et qui lui sied. Rose, à qui la commission a été confiée, s’en acquitte avec un peu de malice. Assurément elle admire sa sœur aînée, dont la vie se passe à soigner les malades, à visiter les pauvres, à exercer une sorte d’apostolat auprès duquel pâlit celui de M. Thornburgh ; mais, tout en l’aimant, elle craint que cette sœur aînée, malgré ses toilettes de matrone, son absence complète de coquetterie, ne lui fasse un certain tort.

— Il n’est pas sans inconvénient, dit-elle à Agnès, d’avoir pour sœur une sainte Elisabeth.

Et Catherine, quoiqu’elle n’ait pas entendu ce mot, a compris son devoir. Rentrée la nuit dans sa petite chambre semblable à un sanctuaire, où la Bible et d’autres livres légués par un père vénéré lui rappellent les heures les plus intenses de sa vie spirituelle, cette puritaine consciencieuse se décide sans balancer à un sacrifice dont les femmes sentiront tout le prix. La petite glace éclairée par une seule bougie reflète son pur et sérieux visage couronné de cheveux bruns tressés très haut sur le front, à la noblesse duquel ce diadème naturel ajoute encore. Catherine voit très bien qu’elle est belle, mais son miroir ne reçoit aucun sourire en échange de cette information. Pour toute réponse elle se détourne et, des deux mains, commence à de faire ses nattes avec impatience ; puis, éteignant la lumière, elle se jette à genoux et prie longtemps à la clarté des étoiles. Quand elle descend déjeuner le lendemain, ses cheveux sont tordus de la façon la plus simple en un nœud lisse derrière la tête, comme lorsqu’elle avait douze ans. Sa mère, une veuve, languissante et douce, éprise du mérite de ses filles dont elle ne cesse de faire l’éloge en tout temps et à tout le monde, sa mère, la plaintive Mlle Leyburn, se récrie :

— C’est plus commode, chère mère, et cela prend moins de temps, dit en rougissant Catherine. — Puis, avec une étincelle de gaîté dans ses yeux clairs qui se posent sur les boucles torturées de sa jeune sœur : — Rose dédommagera Mrs Thornburgh.

Ce trait caractéristique, qui rappelle le sacrifice des bijoux fait par Dorothée Brooke au commencement de Middlemarch, nous montre, mieux que beaucoup d’explications, combien fort est le dévoûment chez cette sœur de charité. Tandis qu’elle aide Rose dans les détails archaïques d’une toilette préraphaélite à laquelle ont travaillé tant bien que mal les petites ouvrières du village, le