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ici surchargé de pensées seulement, mais de citations ; il y a une tendance fatigante à revenir aux mêmes épithètes ; exemple : les mots eager, eagerness, eagerly sont répétés presque à satiété à propos de Robert Elsmere, comme si l’on craignait que le lecteur n’eût pas compris encore que c’est une nature vive, ardente, impressionnable ; les incidens de son histoire, jusqu’à ce qu’il ait rencontré Catherine, suffiraient pourtant à le prouver.

Le père défunt de Robert appartenait à la branche cadette d’une vieille famille du Sussex et devait sa situation de recteur de Murewell au patronage d’un oncle qui continua de protéger son fils orphelin, malgré l’antipathie que lui inspirait la mère de celui-ci, une Irlandaise, ennemie de toutes les conventions qui peuvent être chères à un vieux baronnet anglais. Non-seulement cet oncle inscrivit Robert pour un legs sur son testament, mais encore il enjoignit à l’héritier de ses biens, sir Mowbray Elsmere, de faire en sorte que le jeune homme, s’il devenait prêtre, succédât au bénéfice de Murewell, appartenant à la famille. L’ouverture fut assez mal reçue par Mrs Elsmere, qui n’était nullement cléricale pour son propre compte, quoique veuve d’un ecclésiastique.

— Il n’est pas de ceux, pensait cette mère idolâtre, qui ont besoin de privilèges. Le monde est devant lui. Qu’il y marche librement.

Entre la bouillante Irlandaise et son fils, il y a des rapports semblables à ceux qui existèrent entre Goethe et sa mère, une tendre camaraderie, une parfaite similitude de goûts, une même activité d’imagination. Mrs Elsmere n’a jamais quitté Robert, suivant de près ses études, partageant ses plaisirs, lui composant à elle seule une société amusante et variée, car elle adore la vie et possède tout ce qu’il faut pour la rendre agréable aux autres, malgré ses bizarreries de toilette et de manières. Oxford les sépare pour la première fois : Robert entre en contact avec l’imposante organisation de l’université, et là il subit de nouvelles influences. D’abord, celle de son tutor, Edward Langham, qui, plus âgé de sept ans, exerce sur lui une sorte de fascination par le prestige de ses talens exceptionnels, de sa belle figure et de son incurable tristesse.

Cet homme, doué merveilleusement au point de vue intellectuel, a été pénétré de bonne heure de l’inutilité de l’effort, de la futilité de l’enthousiasme, de l’impossibilité où nous sommes de réaliser nos rêves. Idéaliste quand même, il souffre, « victime de ce sens critique qui dit non à toutes les impulsions et qui, cependant, sans relâche et sans espérance, cherche l’avenir à travers le présent dédaigné. » Il a interrompu de très brillans travaux littéraires pour se mettre à étudier des textes au microscope et pour