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contribuer à quelques dictionnaires, sans aucun intérêt supérieur à celui d’exercer les forces de son esprit, comme il lui eût fait casser des pierres. Langham, le désenchanté, l’indifférent, se laisse gagner, en vertu de la loi des contrastes, par la sympathie spontanée de ce garçon de dix-huit ans, né pour la confiance, pour la volonté, pour l’action. Il l’aime autant qu’il peut aimer, jusqu’à craindre de lui communiquer le scepticisme qui est en lui à l’état morbide. Pour en contre-balancer l’effet, il livre Robert aux leçons d’un professeur, qui l’encouragera dans la disposition où il est de prendre la vie au sérieux. M. Grey passe pour une des lumières de son temps. Oxford traverse alors une phase de réaction : le grand mouvement libéral qui a suivi les exagérations contraires du tractarianisme et renouvelé en vingt années l’esprit de l’université, commence à tourner ; on reconnaît qu’après tout, Mill et Herbert Spencer n’ont pas encore dit le dernier mot sur toutes les choses du ciel et de la terre ; un flot de romantisme religieux monte, un grand changement se produit, et quelques-uns des facteurs du changement ne sont même pas chrétiens de nom ; ils n’en ont pas moins contribué au triomphe de l’idée chrétienne. Grey est un de ceux-là. Ses conférences philosophiques sont suivies assidûment par des disciples enthousiastes. On sait qu’après s’être préparé pour l’église, cet homme, éminemment sincère, y a renoncé parce qu’il lui était impossible d’accepter les miracles ; on sait que, spiritualiste et hégélien, il a rompu avec le christianisme populaire en n’acceptant d’autres réalités que Dieu, la conscience et le devoir ; mais aucune des formes du matérialisme n’échappe à son défi, et, comme il respecte en revanche les convictions encore naïves de la jeunesse qui l’écoute, il est facile de ne tirer de son enseignement qu’une grande ferveur. C’est ce qui arrive pour Elsmere : les sermons laïques de Grey l’intéressent passionnément aux choses religieuses, et, a comme Grey l’eût fait vingt ans plus tôt, il met cette passion, ainsi stimulée, au service de la grande tradition positive qui l’entoure. » Le zèle du salut des âmes l’embrasant, il se décide à devenir prêtre. Son maître ne l’en détourne pas ; il lui dit simplement : « vous ne sentez pas de difficultés sur votre chemin ? .. Eh bien ! vous serez heureux sans doute… L’église a besoin d’hommes de votre sorte. »

Elsmere, cependant, n’a aucune envie de s’ensevelir à Murewell ; il ne s’accordera, dit-il, le luxe d’une paroisse de campagne qu’après avoir lutté longtemps d’abord contre le vice et la misère au plus fort de la bataille, en évangélisant la populace des grandes villes. Mais sa santé, très frêle, s’oppose à ces projets héroïques ; pendant trois années, il doit se borner à l’enseignement. Comme il y entremêle l’exercice de la plus active charité, se donnant corps