Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partout : à Prague, avec les jeunes Tchèques ; à Budapesth, où M. Tisza a de la peine à se défendre contre une opposition plus que jamais acharnée à poursuivre sa chute ; à Trente même, où les Tyroliens ont leurs revendications, comme toutes les autres nationalités de l’empire. Quant à l’Italie, la troisième alliée de la grande ligue, elle aurait certes, si elle le voulait, de quoi s’occuper pour son repos et pour son bien, sans chercher un rôle dans les aventures.

Pour le moment, l’Italie en est à l’ouverture de son parlement qui vient de reprendre sa session à Rome, et le discours que le roi Humbert a prononcé ne laisse pas d’être curieux. Le roi est toujours sûr d’être bien reçu comme il l’a été l’autre jour, et cela se conçoit. Le discours qu’il a prononcé, qui est moins son œuvre que l’œuvre de M. Crispi, est réellement un morceau assez singulier de littérature lyrique et retentissante, où manquent la sobriété et la mesure qui caractérisent d’habitude le langage prêté à un souverain. C’est un discours plein d’optimisme où l’on ne se fait que des complimens. L’Italie a fait en trente ans ce qui a été le travail d’un siècle pour d’autres nations ! Si la paix est assurée à l’Europe, c’est l’œuvre du gouvernement italien et de ses alliés ! l’agriculture sort du marasme et des crises dont elle a souffert ! le développement de l’industrie est solidement établi ! Tout est pour le mieux sous le consulat de M. Crispi ! A y regarder de plus près, peut-être la réalité ne ressemblerait-elle pas à ce séduisant tableau ? Peut-être les agriculteurs des Pouilles et les commerçans de la Lombardie trouveraient-ils assez étrange la prospérité dont on se flatte de les combler. Il y a du moins dans un passage de ce discours une bonne intention. Le cabinet de Rome annonce le projet de supprimer les droits différentiels dont il a frappé les relations commerciales de l’Italie avec la France. Malheureusement la difficulté n’est pas dans une surtaxe de guerre toujours transitoire ; elle est dans ce qui a précédé et préparé la complication des rapports commerciaux entre les deux pays. Le jour où l’on voudra s’adresser à la France avec des intentions réellement conciliantes et libérales, ce n’est certainement pas la France qui les repoussera. Jusque-là on se paie de mots, on ne fait qu’éluder ou déguiser la question. Il a plu à M. Crispi de s’engager à outrance dans une certaine politique ; s’il convient au parlement de suivre M. Crispi jusqu’au bout et s’il convient au pays de suivre son parlement, de laisser compromettre ses intérêts, ses finances, son commerce, son industrie, pour des armemens ruineux, pour une politique d’agitation stérile, c’est l’affaire du parlement italien et de la nation italienne. La France n’a rien à y voir, elle attendra. Tout ce qu’on peut dire, c’est que la politique conseillée au roi Humbert et pratiquée par M. Crispi n’est certes plus la politique de Victor-Emmanuel et de Cavour. On sait ce qu’a produit cette dernière politique, on pourra Voir quels seront les résultats de la politique nouvelle pour l’Italie.