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de tactique et de stratégie) étaient remises à la souveraine décision de la reine, et n’eut pas la chance de lui agréer. La raison de son déplaisir était simple et elle n’en fit pas mystère. Le territoire occupé par les Gallispans ne faisait pas (sauf quelques parcelles de peu d’importance) partie des provinces dont le traité de Fontainebleau avait promis la souveraineté à l’infant Philippe : or c’étaient ces possessions (dont elle se croyait déjà la maîtresse légitime) sur lesquelles Elisabeth voulait avant tout mettre la main, persuadée qu’une fois qu’elle les détiendrait, personne ne saurait plus l’en faire départir. Elle entendait donc qu’on ne perdît ni un jour, ni une heure pour s’en emparer. Déjà, avant même le plein succès obtenu par la victoire de Bassignano, informée que les duchés de Parme et de Plaisance ne renfermaient plus que de faibles garnisons autrichiennes, elle avait exigé qu’un détachement de l’armée espagnole lût expédié immédiatement pour s’en rendre maître, et aux représentations que Vauréal lui faisait sur le danger d’affaiblir, ainsi, à la veille d’un engagement décisif, le corps principal de ses troupes : « Parme est ma patrie, lui avait-elle répondu, l’infant y sera comme chez lui : les habitans s’y souviennent de leur ancienne maîtresse ; vous verrez comme nous y serons reçus. »

La prévision s’étant trouvée justifiée (puisque la ville de Parme et celle de Plaisance ouvrirent leurs portes presque sans résistance), la reine se trouva encouragée à exiger qu’au lieu de prendre ses quartiers d’hiver sur la rive droite du Pô, son armée franchit hardiment le fleuve, entrât dans le Milanais et vint, malgré la rigueur de la saison, mettre le siège devant la capitale de ce duché. Cette fois l’imprudence étant évidente et la déraison palpable, la résistance du général français sur place, et des deux frères d’Argenson (l’un chargé de la diplomatie et l’autre de la guerre) à Paris, fut des plus vives. Il y eut, entre les deux cours, un échange de correspondances très amères, et Vauréal dut emprunter les couleurs les plus vives de sa palette pour peindre les scènes violentes qu’il eut à subir : « J’ai trouvé la reine, écrit-il dans un de ses récits, dans un si grand degré d’exaltation qu’il me fut impossible de dire deux mots suivis : la reine ne me laissait pas parler : il n’y eut guère plus de suite dans ses discours. Ce n’étaient que des phrases commencées et non achevées… Nous savons ce que nous avons à faire,.. on veut nous mener comme des enfans,.. il faut bien que chacun songe à soi… Enfin elle se leva une demi-heure plus tôt qu’à l’ordinaire (l’audience était donnée au lit, suivant l’habitude), le roi d’Espagne lui dit qu’il était trop tôt ; elle répondit : « Je veux m’en aller, restez si vous voulez. » Le roi d’Espagne me paraissant embarrassé, je crus devoir me retirer. » Bref, il n’y eut moyen de rien obtenir, et l’ordre lut envoyé au comte de Gages de marcher