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autrement. Les Bohémiennes de Bizet ont des gaillardes, et Carmen une coquine. Les magnanarelles ont plus de sagesse et de modestie. Quand la belle Clémence a conté son rêve, dont elle rit la première, à Mireille d’avouer le sien, mais sans en rire. M. Gounod trouve d’exquises mélodies pour nous présenter ses héroïnes. Mireille se détache de ses compagnes avec simplicité, seulement par sa grâce plus touchante, et sa voix plus émue. Au milieu des rires de ses sœurs et de leurs souhaits ambitieux, sa modeste phrase éclôt comme une humble fleur d’amour. Écoutez ces vingt ou vingt-cinq mesures : le plus pur de L’inspiration de M. Gounod est là. Le voilà tout entier, traduisant un sentiment profond, sincère, dans une forme irréprochable ; le voilà avec tout son art et tout son cœur.

Si Mireille nous apparaît charmante, Vincent n’a pas moins bonne façon. « Vincenette a votre âge… » On ne saurait noter la déclaration du gentil vannier avec une plus souple intelligence de toutes les nuances : timidité, respect, passion. Quelle malicieuse coquetterie dans l’exclamation de Mireille : Ah ! c’Vincent ! Quelle chaleur dans l’effusion du jeune homme ! De ce petit duo, tout est parfait ; ravissante, la dernière phrase de Mireille, arrondie comme le bras de la jeune fille assurant sur son front son panier ; très poétique, l’écho lointain, sous la feuillée, du refrain des magnanarelles.

Le second acte renferme trois pages de prix : le duo de Magali, la chanson de Tavenet la plainte de Mireille aux genoux de son père. Pour le duo, M. Gounod s’est inspiré d’un thème provençal, et, n’en déplaise aux dévots de la mélodie populaire, il a mieux fait que de le transcrire. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer la chanson originale au célèbre duo, qui, depuis vingt-cinq ans, se défend contre les amateurs ; acharnés à sa perte. Ah ! le brave petit duo ! Non-seulement il n’est pas mort, mais il ne paraît pas même fatigué. Il court toujours aussi leste, tantôt joyeux, tantôt attristé par un nuage du ciel, par l’ombre du monastère, marquant à chaque mesure de nuances nouvelles les hasards du chemin, les métamorphoses de la vierge fugitive et rejointe enfin. C’est plaisir de l’entendre chanter autrement que par une demoiselle musicienne et un gros monsieur qui s’essouffle à se faire « abeille ou papillon ; » de retrouver au théâtre ce que les salons ne peuvent donner : la reprise finale avec le murmure des chœurs qui semble l’assentiment du peuple à des fiançailles populaires et la consécration, je dirais presque la contagion douce de ce mélodieux amour. On a indiqué ici aux choristes une mimique assez heureuse, à la condition de ne pas être exagérée : ils suivent de la physionomie et du geste le chant dialogué de Vincent et de Mireille. Sans doute on leur a lu cette strophe de Mistral après les couplets de Magali : « Les autres, en même temps, d’un penchement de front, —