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plus humain, et je ne vois pas trop pourquoi, les gens qui meurent étant plus nombreux encore que ceux qui se marient. Mais que la pièce finisse bien ou mal (et c’est aux personnes mariées de décider quelle est la fin la meilleure), la partition ne finira jamais très bien. Le dernier tableau découronne un peu cette œuvre, d’ailleurs toute charmante. Médiocres, la cavatine de Vincent et le dernier duo, accompagné de harpes banales et coupé, selon l’usage antique et solennel, en trois couplets pareils : un pour Mireille, un pour Vincent, un pour les deux ensemble.

Le maitre nous permettra-t-il de signaler encore deux petites faiblesses (et ce sera tout) : la valse du premier acte et le grand air du second. Au lieu de la très belle scène du Rhône, voilà ce qu’il fallait retrancher. Le personnage de Mireille serait complètement naturel s’il était débarrassé de ces deux postiches. Du grand air, le larghetto seul est expressif ; le reste est banal et démodé. Quant à la valse, il s’en faut d’elle seule que le premier acte soit irréprochable. Plus faible, plus sèche surtout que celle de Juliette, l’ariette à trois temps de Mireille, avec sa ritournelle à la Marcailhou, est plus déplacée encore. A l’extrême rigueur, on peut excuser dans un bal, surtout le premier bal d’une jeune fille, ces fioritures mondaines. Et puis Juliette n’a pas encore vu Roméo. Ce n’est que son plaisir qu’elle chante, et non pas son amour. Mais Mireille, la paysanne, l’amoureuse, en pleine nature, sous les mûriers, parler de Vincent avec sa voix seulement, quand elle vient d’en parler, quand elle va lui parler, et si délicieusement, avec son cœur ! « Chantez, chantez, magnanarelles, » mais sans faire de roulades, comme vous chantez quand le rideau se lève et quand il tombe sur l’adorable premier acte de la partition. Oh ! l’aimable chanson de jeunes filles, de gracieuses ouvrières des champs ! Quelle élégance mélodique et quel naturel ! Quel agrément donne à la reprise une discrète broderie, un petit filet sonore de hautbois ! ce chœur est à la fois joyeux et paisible ; la persistance du rythme, l’aisance des modulations et des rentrées expriment bien un travail sans arrêt, mais sans fatigue, un léger travail de femmes. Cette esquisse charmante échappe à la monotonie par mille nuances dans la demi-teinte : nuances de mouvement et surtout de sentiment. Voici Taven, qui vient mêler aux refrains de la cueillette sa complainte de mauvais augure. Ecoutez-les chanter et rire, gronde-t-elle sur un ton d’ironie, presque de reproche, et la phrase, qui semble trembler de vieillesse, semble aussi trahir le deuil des illusions perdues et des printemps évanouis. Mais décourage-t-on la jeunesse de la joie et de l’amour ? Les fillettes ripostent gaîment et toujours chantant se content entre elles leurs espérances ou leurs chimères. Rappelez-vous, dans un chef-d’œuvre plus récent que Mireille, dans Carmen, le trio des cartes. Là aussi des femmes devisent de l’avenir, mais tout