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A mesure que l’on avance dans l’étude de la peinture japonaise, on est frappé davantage de la ressemblance qu’offrent ses évolutions avec celles de notre peinture européenne. Aussi bien, il nous paraît que la peinture japonaise et la peinture européenne ont eu de tout temps des conceptions de l’art à peu près pareilles : avec des tempéramens différens et par des voies différentes, ce sont les mêmes buts qu’elles se sont proposés. Comme en Europe, l’art primitif a été au Japon un art religieux et expressif : comme en Europe, le XVe siècle y a été une ère de renaissance, et d’une renaissance dont les auteurs ont créé un style nouveau en croyant imiter des modèles classiques. Au XVIIe siècle, la glorieuse époque de Genroku fut pour le Japon un siècle de Louis XIV : les peintres continuaient les traditions de la renaissance, mais avec un souci croissant de la noblesse et de la perfection. Et si l’on veut comprendre l’histoire de la peinture japonaise du XVIIIe siècle, on ne peut s’empêcher de la comparer avec l’histoire de la peinture française à la même époque. L’idéal classique du siècle précédent se dédouble et produit deux courans opposés, dont l’un va à une imitation plus directe de la nature, tandis que l’autre tend à l’élargissement de la libre fantaisie. A l’école Shijo, malheureusement, il a manqué un Chardin ; et l’école vulgaire ou Ukiyo-yé n’a trouvé son Watteau qu’après un siècle de durée. Mais les peintres qui ont précédé l’avènement du génie d’Hokousaï, les Soukénobou, les Shunsho et les Outamaro, nous ne saurions mieux caractériser à la fois le degré de leur valeur artistique, et en quoi ils se ressemblent, et en quoi ils diffèrent, qu’en les comparant aux Lancret, aux Boucher, aux Eisen et aux Fragonard. Ajoutons que pour eux, comme pour ces maîtres français du siècle dernier, la gravure a été une forme inséparable de la peinture, le grand moyen de propagation de leurs œuvres, et que leur manière de peindre s’en est ressentie.

Le premier représentant de l’école vulgaire était un élève de Tosa, Mataheï, qui vivait dans les premières années du XVIIe siècle. C’est lui qui a essayé le premier de représenter ces sujets que ses prédécesseurs jugeaient indignes de l’art, les scènes de la vie familière, les divertissemens de la foule, le jeu des acteurs, les toilettes des courtisanes, les mille spectacles quotidiens de la rue. Mais l’école vulgaire ne s’est réellement constituée en dehors des autres écoles que dans les dernières années du XVIIe siècle et sous l’influence de deux hommes de génie, Moronobou et Itcho, qui ont su créer une manière nouvelle pour traduire les sujets nouveaux.

De ces deux hommes, Itcho a été, à beaucoup près, le plus original et le plus puissant. Il avait étudié dans l’atelier de Tanyu, mais sa nature indocile et fantasque s’était réveillée de bonne