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La Mangwa, recueil d’esquisses en quatorze volumes, et les Cent Vues du Fouji-Yama, qui ont popularisé en Europe le nom d’Hokousaï, sont loin de donner une idée complète de son génie ; ses sourimonos et ses petites gravures en couleur témoignent chez lui d’un sentiment extraordinaire de la beauté formelle, de l’élégance des lignes et de l’harmonie des couleurs ; mais rien de tout cela n’égale le charme souverain de ses peintures, assez nombreuses dans les collections parisiennes, de celles surtout où il a représenté les lascives figures des courtisanes ou les scènes tranquilles de la vie populaire.

Le premier en Europe, M. Gonse a rendu pleine justice à Hokou-saï. « Son œuvre, dit-il, est l’encyclopédie de tout un pays : c’est la Comédie humaine du Japon ; et si l’on considère en lui les dons généraux, les qualités techniques qui font les maîtres, il peut être placé à côté des artistes les plus éminens de notre race. »

Au contraire M. Anderson, imitant la sévérité des critiques japonais, croit devoir terminer par de nombreuses réserves le jugement qu’il porte sur lui. Il lui reproche de n’avoir pas mis à profit les occasions qu’il avait d’appliquer la perspective et le clair-obscur de l’art européen ; d’avoir été un artisan et d’avoir rabaissé l’idéal des Kano. Mais M. Anderson est forcé d’avouer « qu’il a eu un don prodigieux pour fixer, en quelques lignes rapides, le caractère essentiel d’un sujet, et joint à ce don une vive perception de la beauté de la forme, une fermeté et une sûreté de touche tout à fait sans égales, une habileté mystérieuse pour donner, d’un trait d’encre de Chine, l’impression du relief et de la couleur. » De telles qualités ne suffisent-elles pas pour constituer un maître ?

Oui, Hokousaï est un maître, et il convient de le placer dans la compagnie des peintres les plus glorieux de son pays. Rien ne lui a manqué, ni l’habileté et la science, ni l’invention, ni le sentiment. L’idéal esthétique qu’il a toujours poursuivi n’est peut-être pas le plus élevé de tous, mais il en est, à coup sûr, le plus efficace : la création de la vie. « L’auteur a essayé de donner de la vie à tout ce qu’il a peint, » dit l’éditeur de la Mangwa. « Si je puis parvenir jusqu’à l’âge de cent dix ans, écrit-il lui-même, soit un point, soit une ligne, tout dans mon œuvre sera vivant. » Comme les maîtres, il a toujours eu un amour profond de la nature et de son art ; comme eux, il était toujours mécontent de ses œuvres antérieures. Il écrivait, à soixante-quinze ans : « Vers l’âge de cinquante ans, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis dégoûté de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris la forme et la nature vraies des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Ecrit