Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par moi, Hokousaï, le vieillard fou de dessin. » Ajoutons que cet homme, d’un cœur naïf et tendre, avait une intelligence remarquable, qu’il a possédé mieux que nul autre la notion des vagues symboles, des mystérieuses relations qui unissent le mouvement à la pensée.

Ce qui nuit à Hokousaï, ce qui l’empêchera longtemps encore d’occuper aux yeux du public européen le rang qu’il mérite, c’est précisément la façon confuse et déraisonnable dont s’est faite chez nous la connaissance de l’art japonais. On nous a laissé croire que toutes les formes de l’art avaient au Japon la même valeur, et qu’une peinture ou une gravure y étaient mises au niveau d’un netzké ou d’une garde de sabre. Dans le fatras d’objets que l’on nous montrait, comment aurions-nous deviné le rôle dominant de la peinture, ou la haute originalité artistique de cinq ou six de ses maîtres ? Aujourd’hui le préjugé est devenu très fort. Il nous semble malgré tout que cet art d’Hokousaï est encore du bibelot ; nous sommes séduits, émerveillés, mais ensuite nous nous trompons sur la qualité de notre plaisir, et nous nous refusons à voir des œuvres d’un art supérieur dans ces images qui nous ont ravis. Il est dans la destinée d’Hokousaï d’être traité après sa mort par le public européen comme il l’était de son vivant par les amateurs japonais, qui s’arrachaient ses gravures, mais daignaient à peine les lui payer, en raison sans doute du peu de travail qu’elles lui avaient coûté.

Les œuvres des élèves d’Hokousaï, Hokkeï et Kiosaï, sont encore un saisissant témoignage de la singularité de son génie. Ces habiles ouvriers semblent lui avoir tout pris, ses sujets et sa manière, et au point de vue de l’exécution, ils l’ont tous deux égalé : mais il leur a manqué le mystérieux pouvoir créateur qui fait paraître vivantes les plus rapides esquisses de leur maître : l’âme d’Hokousaï, ils n’ont pas su la lui prendre. Cet homme extraordinaire, d’ailleurs, efface tout autour de lui ; ses œuvres seules nous empêchent d’apprécier ce qu’il y a d’intéressant dans les paysages variés de son rival Hiroshigé, le plus populaire des maîtres de l’école vulgaire, dans les esquisses de Keïsaï-Yeïsen, de Zeshin, de dix autres gracieux fantaisistes. Il serait injuste pourtant de ne pas nommer à côté de lui un de ses contemporains qui a donné un dernier éclat au style plus réservé de l’école de Kano, Josaï, peintre, historien et poète, celui de tous les artistes japonais qui semble avoir eu au plus haut degré les qualités intellectuelles, la pureté de la ligne et le sentiment de l’expression.

Aujourd’hui, la peinture japonaise a cessé d’être un art. Les enfans ont besoin d’être tenus en laisse, et il a fallu toute la