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pour servir à cette expérience presque aussi naïvement qu’une bassinoire de cuivre ou un pot de chrysanthèmes ? Le modèle humain est, toutefois, plus respectable, et ce n’est pas sans quelque commisération qu’on voit éclater, sur tant de faces blanches, un air satisfait de bêtise profonde qu’elles doivent en partie, il faut l’espérer, à l’inexpérience maladroite de leurs interprètes. Pour la réception des figures entières, quoique avec moins d’exagération, on a apporté encore trop d’indulgence. Il serait temps, dans l’intérêt général, de mettre une digue à cette inondation d’inutilités et de substituer partout, dans les opérations du jury, un esprit de sévérité équitable et digne à un esprit de tolérance périlleuse qui ressemble fort à de l’indifférence. La Société des artistes, en améliorant l’installation de la sculpture, en donnant pour fond, aux marbres et aux plâtres, comme on l’avait fait à l’Exposition nationale de 1883, les belles tapisseries du Garde-meuble, s’est mise dans l’obligation de choisir avec plus de soin les ouvrages qui doivent apparaître dans ce beau cadre. Cette sélection lui serait d’autant plus facile que, chez les sculpteurs, à l’heure actuelle, le niveau de la science et même celui de l’imagination restent plus élevés que chez les peintres et que, dans cette section, les œuvres sont fort nombreuses qui attestent une conviction sérieuse, marquent un effort soutenu, et méritent, avec une attention sympathique, presque toujours l’estime et quelquefois l’admiration.


I

La première œuvre qui frappe les yeux, lorsqu’on entre, c’est la Femme au paon, de M. Falguière. En d’autres temps, c’eût été une Junon. L’artiste, dans son premier rêve, est peut-être parti de l’idée mythologique, et, si nous ne nous trompons, dans la femme nue qu’il exposait, sous ce titre, l’année dernière, à la section de peinture, on trouvait déjà l’attitude, sinon la grâce, qu’il prête cette année à sa femme sculptée. Les deux figures ont dû être faites en même temps, peut-être d’après le même modèle. En fin de compte, M. Falguière a bien fait de ne point donner de nom classique à cette belle fille. Reine et déesse, elle pourrait l’être, elle l’aurait été dans ces âges reculés où la beauté suffisait pour conquérir un trône et donner l’immortalité : ce n’est point la reine des dieux, elle n’en a ni la majesté ni la fierté ; ce n’est point la femme de Jupiter, elle n’en a ni la gravité ni l’orgueil. Nue, toute nue, debout sur des flocons de nuées, dédaignant tous les