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démonstration contre la France, — peut-être encore contre la Russie. Ces journaux vont un peu vite dans leurs interprétations et leurs commentaires. On n’en est pas là heureusement, nous le supposons. L’Angleterre peut supporter impatiemment les contradictions dans des affaires comme celles de l’Égypte ; il ne s’ensuit pas qu’elle soit si pressée de se jeter dans les coalitions, d’enchaîner systématiquement sa politique à la politique du continent. Le ministère de lord Salisbury lui-même, si complaisant qu’il soit pour l’Allemagne, n’irait pas jusque-là, et s’il était soupçonné d’avoir trop engagé l’Angleterre, il n’aurait probablement fait qu’ajouter aux difficultés et aux dangers d’une position précaire où il n’est plus toujours sûr du lendemain. Le plus simple est de ne rien exagérer, — sans se dissimuler, néanmoins, qu’il y a peut-être aujourd’hui quelque chose de plus qu’hier, que s’il n’y a pas un accord complet, il y a une entente possible entre l’Angleterre et quelques-uns des cabinets de l’Europe sur des points déterminés, notamment dans les affaires des Balkans qui peuvent à tout instant se réveiller.

Le fait est que tout reste singulier dans ces états des Balkans, en Serbie où le roi Milan semble être tenté de ressaisir le pouvoir, et encore plus en Bulgarie où le prince Ferdinand de Cobourg règne, où le premier ministre M. Stamboulof gouverne. La Bulgarie vit depuis longtemps dans un provisoire au moins bizarre, livrée à elle-même, sans avoir les garanties d’un régime régulier et diplomatiquement reconnu. Elle a eu récemment son procès d’État qui vient de se dénouer par l’exécution brutale, quelque peu odieuse, d’un chef de conspiration, le major Panitza, dont la mort jette un reflet lugubre sur ces affaires bulgares. Soit que ce procès du major Panitza ait dévoilé les dangers d’un provisoire indéfini, soit que l’état de l’Europe ait paru plus favorable, le gouvernement de Sofia a demandé il y a quelques jours, d’un ton presque menaçant, au sultan de reconnaître enfin le prince Ferdinand. Le divan de Constantinople ne prendra sûrement aucune résolution sans avoir consulté toutes les puissances ; mais c’est ici justement que se rencontrent toutes les politiques, que les dissentimens risquent d’éclater de nouveau, et que peut se faire sentir le poids d’une entente de l’Angleterre, de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie. C’est l’inconnu !

On ne peut pas bien connaître les affaires du temps, les éternels démêlés des peuples, si on ne connaît pas avant tout les affaires du passé, et on ne peut revenir à cette histoire du passé sans rencontrer la figure de celui qui a été un des plus grands manieurs d’affaires, un des premiers personnages diplomatiques du siècle, le prince de Talleyrand. Qu’on parcoure les annales si troublées depuis les grandes commotions de la fin du dernier siècle et le Directoire jusqu’à la Révolution de juillet en passant par l’Empire et la Restauration, M. de Talleyrand a été mêlé à tout. Il est toujours là, alliant l’aisance sceptique du grand seigneur à la clairvoyance du politique, prêt à servir tous les