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assez niais : l’extase laïque, sans ravissement ni visions. Les femmes faisaient même mieux que de ne le point détester : elles l’aimaient. Elles l’aimaient, parce qu’il n’était pas laid, mais surtout parce qu’il les aimait. Et puis, elles sentaient, elles savaient qu’il ne les méprisait point; qu’elles ne trouveraient jamais, par-delà ses galanteries intéressées d’homme sensuel, cet insultant dédain à l’endroit de l’âme féminine, qui est au fond de tout cœur d’homme ayant fini d’aimer. Ses opinions de philosophe lui prescrivaient de ne voir, dans certaines lacunes du cerveau des femmes, que la conséquence de la longue tyrannie qui les opprime encore; et il n’était pas assez sot pour tirer avantage ou vanité d’une supériorité qu’il savait ne devoir qu’à la séculaire injustice de son sexe. Cette supériorité, il ne s’en prévalait jamais que dans les limites prévues et concédées par toute femme aimante. En sorte qu’il gagnait presque autant de belles amies qu’il perdait de maîtresses, ce qui n’est ni désagréable ni banal, à coup sûr. Si bien, enfin, que c’eût été un rare exemple de sagesse et de bonheur en ce monde, s’il n’eût eu son point faible, comme la plupart de ses congénères, un défaut à sa cuirasse : il était trop épris de la Forme, de la Beauté féminine ; il était sensuel avec intelligence, mais non toujours sans excès. En épicurien trop attaché à la lettre du système, il estimait que la suprême raison consiste surtout à n’être point dupe de la Nature sous un prétexte ou sous un autre, à se satisfaire plutôt qu’à se sacrifier ; en un mot, à ne pas souffrir. Et il était sincèrement d’avis que l’on a tout intérêt à céder plutôt qu’à résister à ses passions, — pourvu qu’elles n’aient rien de monstrueux ni d’exorbitant, — parce qu’on est ainsi plus vite débarrassé ou allégé de leur joug.

Tel était l’homme qui s’était pris, — malgré toutes les résistances de sa raison et de son système, — d’une grande passion pour Marie-Madeleine Hart, après avoir très vaguement soupiré pour la cousine de la jeune fille, et qui venait d’acquérir la preuve de la rivalité clandestine du baron de Buttencourt-Rubécourt, son hôte. — Quant à ce dernier, c’était un homme du monde, dont l’anatomie morale, infiniment moins compliquée, peut se résumer en quelques mots : correction d’attitude; ardeur de tempérament, cachée sous un masque d’une froideur voulue ; moralité et religion également superficielles, mais attachement machinal à ce qui constitue la dignité extérieure du gentilhomme. Encore un trait, si l’on veut : le fanatisme de la chasse. Et c’est tout.

Ces deux hommes se connaissaient de longue date et se détes- taient cordialement, de longue date aussi, n’ayant pas attendu pour cela qu’une concurrence passionnelle les mît aux prises. Du reste