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reconstituer sur chacun d’eux sa doctrine, il en faut aller chercher les élémens épars, non pas dans les seuls morceaux qui concernent spécialement le sujet considéré, mais jusque dans des parcelles de certains autres qui n’y touchent qu’incidemment par quelque point. Encore doit-on être attentif à ne pas altérer le sens de ces parcelles en les transposant. C’est ce travail assez minutieux que nous avons tenté, avec un scrupule égal à notre défiance de nos forces, avec un intérêt qui récompensait notre effort.

N’aurions-nous pas été dupe de nos soins ? Ce discours est-il réellement l’œuvre de Pascal ? On a douté qu’il le fût ; de graves esprits en doutent encore. L’autorité de Cousin même ne suffit point à les rassurer. Les raisons sur lesquelles il s’appuie pour en affirmer l’authenticité sont, de leur propre aveu, très spécieuses. Toutefois, l’auteur d’une trouvaille si importante est naturellement enclin à n’en pas suspecter la valeur ; à son insu, sa bonne foi a pu se laisser séduire par son attachement paternel à sa découverte. Mais d’autres maîtres, de la plus haute compétence, partagent l’avis de Cousin. Pour n’en citer qu’un, Havet, dont le témoignage est considérable ici, n’hésite point à épouser l’affirmation de l’illustre philosophe. Alors même que de tels garans ne nous imposeraient pas leur sécurité et que nous en fussions réduit à notre propre critique, l’origine de ce discours nous apparaîtrait encore avec une pleine évidence. Nous n’y pouvons relever une seule phrase, un seul mot qui ne sente la façon de Pascal. Cependant, nous sacrifierions volontiers cet argument tiré du style ; dans les productions de l’art, les parfaites ressemblances fortuites sont rares, mais les habiles pastiches ne manquent pas, et nous sommes obligé de convenir que les qualités de forme ne sont pas des marques de fabrique indiscutables ; en peinture, par exemple, de récens débats l’attestent suffisamment. Encore moins alléguerions-nous la répétition, dans ce discours, de certaines sentences du recueil des Pensées ; on nous répondrait qu’un faussaire ne devait pas négliger ce facile moyen de faire illusion. Nous nous en tiendrions au signe le plus intime, le seul inimitable, de l’individualité, au caractère de la pensée même. Enfin, dût-on nous contester ce gage encore, nous nous consolerions de notre erreur par le profitable commerce que nous aurions eu avec un penseur qui serait le sosie de Pascal, avec un esprit jumeau de son génie ; nous nous résignerions à n’avoir été mystifié que par son égal.

Voici, en langage moderne, les sujets dont il est question dans le Discours sur les passions de l’amour : les fins de la vie humaine, les élémens et l’idéal du bonheur ; la définition générale et le classement fondamental des passions, les caractères de l’amour