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on la voit, on croit souffrir plus qu’auparavant. Les maux passés ne frappent plus, les présens touchent, et, c’est sur ce qui touche que l’on juge… Un amant dans cet état n’est-il pas digne de compassion ? » — « Néanmoins, un rayon d’espérance, si bas que l’on soit, relève aussi haut qu’on était auparavant. C’est quelquefois un jeu auquel les dames se plaisent ; mais quelquefois, en faisant semblant d’avoir compassion, elles l’ont pour tout de bon. Que l’on est heureux quand cela arrive ! » Cela est-il arrivé à Pascal ? Nous n’avons aucune raison de supposer que ce cri cache un soupir et n’est pas, comme tout ce qui précède, l’expression de sa propre expérience. Mais encore faut-il braver le péril d’une déclaration plus ou moins expresse. Sinon, il ne servirait de rien que les deux personnes fussent a de même sentiment, » car il y en a toujours une qui « n’entend pas » ou « n’ose entendre » ce que veut l’autre. Voici le progrès des aveux ! « Un amour ferme et solide commence toujours par l’éloquence d’action ; les yeux y ont la meilleure part. Néanmoins, il faut deviner, mais bien deviner. » Ah ! c’est là le danger. Il faut être attentif, et point n’est besoin de se hâter : « Tant plus le chemin est long en amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir. » Il n’y a que « les esprits grossiers qui ne peuvent pas résister longtemps aux difficultés ; ceux-là aiment plus vite, avec plus de liberté et finissent bientôt. » Ajoutons que, en amour, « il est bon d’être interdit. Il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire. Qu’un amant persuade bien quand il est interdit et que, d’ailleurs, il a de l’esprit ! Quelque vivacité que l’on ait, il est bon dans certaines rencontres qu’elle s’éteigne. » On serait tenté de croire que Pascal ici perd sa candeur et qu’il entre du calcul dans sa conduite ; non, il n’est qu’observateur de mouvemens spontanés, car il dit aussitôt : « Tout cela se passe sans règle et sans réflexion, et quand l’esprit le fait, il n’y pensait pas auparavant. C’est par nécessité que cela arrive. « Il arrive ainsi que l’aveu se fait involontairement : « La vérité des passions ne se déguise pas si aisément que les vérités sérieuses. Il faut du feu, de l’activité et un feu d’esprit naturel et prompt pour la première ; les autres se cachent avec la lenteur et la souplesse, ce qui est plus aisé de faire. » L’aveu ouvert, la déclaration est le pas délicat à franchir, même quand on peut se sentir encouragé : « Il n’y a rien de si embarrassant que d’être amant et de voir quelque chose en sa faveur sans l’oser croire ; l’on est également combattu de l’espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière dévient victorieuse de l’autre. » Il s’agit de découvrir le biais pour s’insinuer et de surprendre le moment opportun, si fugitif, pour frapper le dernier coup. C’est très périlleux : « Dans l’amour, on n’ose