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Mais cette défaveur de Newcastle était de l’ordre de ces affaires mondaines dont on dit : « Tout le monde le sait, personne n’en parle. » Charles, ne pouvant ou n’osant l’avouer, et voulant paraître faire quelque chose, créa Newcastle duc en 1665, et cette distinction purement honorifique, qui n’ajoutait rien à son état, fut la seule marque qu’il obtint de l’attention royale. Pas plus que Charles, Newcastle n’avouait ses sentimens réels. « Après le retour en Angleterre, écrit la duchesse, je lui observai un jour que son gracieux maître ne l’aimait pas autant que lui l’aimait ; il me répondit qu’il ne se souciait pas que Sa Majesté lui rendît ou non son affection, car pour lui, il était bien résolu à l’aimer quand même. » Ajoutez cet autre trait, presque cynique, un jour qu’il lui rentrait cinquante mille livres de rentes par suite du décès de la veuve de son fils aîné, lord Mansfield : « Quoique mon roi et seigneur terrestre semble m’oublier, le roi du ciel s’est souvenu de moi, car il vient de me faire cadeau de deux mille livres sterling de rente. » Et encore cet autre mot, d’une si cruelle ironie, à quelqu’un qui se plaignait de n’avoir pas été récompensé selon ses mérites : « Les gouvernemens ne récompensent jamais les services passés ; si vous avez un service présent à rendre, vous pourrez obtenir quelque chose ; mais, même dans ce cas, je vous conseille, comme le moyen le plus sûr, de vous le faire payer d’avance. »

S’il restait encore quelques doutes sur ce refroidissement d’affection entre Newcastle et son élève, il suffirait, pour les dissiper, de lire attentivement les notes personnelles par lesquelles la duchesse termine son livre. Elle y répond, très à découvert, aux détracteurs de son mari[1] et y donne, avec une pleine franchise, la vraie raison de leur retraite. Le mécontentement de Newcastle, dont elle est visiblement l’écho, y éclate avec une extrême amertume. Écoutez plutôt : « J’ai observé que nombre de vieux proverbes sont très vrais et, entre autres, celui-ci : il est meilleur de se trouvera la fin d’une fête qu’au commencement d’une querelle, car très ordinairement ceux qui sont au commencement d’une querelle ont peu de part à la fête, et ceux qui ont couru les plus grands

  1. Elle leur fait remarquer, avec beaucoup de sens et de finesse, que Newcastle a fait la chose la plus difficile qu’on puisse faire en temps de guerre civile, c’est-à-dire lever une armée pour la cause de l’ordre et du gouvernement, et elle explique en même temps une des raisons de la faiblesse des partis conservateurs, qui est de toutes les époques. « Il est connu par malheureuse expérience que les partis rebelles et factieux s’assemblent avec plus de soudaineté et en plus grand nombre pour accomplir leurs malfaisans desseins que ne le font les hommes honnêtes et loyaux pour soutenir une juste cause ; et certainement il est déplorable que les méchans soient plus industrieux et plus prospères que les bons, et que les pervers aient plus de courage désespéré que les vertueux n’ont d’activé valeur. » Cette remarque a peut-être pu trouver son application quelquefois de nos jours, quoiqu’elle soit vieille de deux siècles.