Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, un Syllabus libéral, qui permettrait aux groupes divers de la société chrétienne de ne plus voir entre eux que des divergences, des nuances et des différences de degré, et qui souffrirait, provoquerait presque entre eux, sinon une fusion, du moins une communication et une harmonie : « Je me représente quelquefois ce qui arriverait, si, un jour, le pouvoir suprême de l’église catholique acceptait pleinement, hautement, le principe de la liberté religieuse… Personne ne saurait mesurer d’avance l’effet que produirait dans le monde civilisé la franche et ferme introduction de ce principe dans l’église catholique… » — Attirer catholiques, protestans, et même simples philosophes spiritualistes, nullement à un Credo commun, mais à une commune direction générale de pensée, à un sentiment commun de l’importance de l’idée religieuse dans le monde, et à une attitude commune de combat, voilà sa pensée constante. — C’est le juste milieu philosophique et religieux ; c’est l’esprit politique cherchant dans les croyances comme centrales et mitoyennes de l’humanité le gros de l’armée, et le ramenant, le rassemblant, à l’exclusion des ailes extrêmes, des corps indisciplinables, et des soldats isolés, et s’efforçant de lui tracer la grande route, où, sans confusion, chaque division gardant ses insignes particuliers et ses distances, il pourra marcher.

Non point que, pour rendre plus facile cette « coalition, » Guizot réduise ou permette qu’on réduise la religion au pur et simple esprit religieux. Il est très loin, en cela, des idées de Benjamin Constant, et il est trop esprit organisateur pour y tendre. Il n’a rien de l’individualiste ombrageux et solitaire. Si, comme protestant, si, dans son église particulière, il a été « orthodoxe, » c’est qu’il croit fermement qu’une religion est nécessairement et doit être un lien étroit entre les hommes, une manière de penser en commun, une communauté et une communion intellectuelle, un engagement, une adhésion de chacun au sentiment de l’association, doit par conséquent avoir ses dogmes arrêtés et sa discipline. « La religion n’est pas un fait purement individuel, c’est un puissant et fécond principe d’association… Des élémens mêmes de la religion naît la société religieuse. » Donc, des religions qui soient des églises, et des églises qui soient des sociétés ; mais entre ces églises, et même de ces églises aux écoles philosophiques qui admettront le surnaturel, une communication constante, un courant de sympathie, un esprit d’alliance au moins défensive, et du tout une association générale dirigeant l’humanité, et la maintenant dans cette région morale tempérée où elle a toujours aimé habiter, dans cette atmosphère moyenne qui est faite d’un peu de surnaturel, d’un peu de foi, d’un peu de charité, et de beaucoup de bon sens.