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qui revendique la souveraineté pour un homme, pour une classe, ou pour tout le monde. Dans les trois cas ce qu’on proclame, c’est toujours la souveraineté par droit de naissance. C’est dire, ou : « Je nais souverain parce que je nais prince, » ou : « Je nais souverain parce que je nais noble, » ou : « Je nais souverain parce que je nais homme. » Non plus l’une que l’autre de ces prétendues souverainetés n’existe en droit, en raison, en justice, en sens commun. Il n’y a qu’une souveraineté, c’est celle qui empêche qu’il y ait quelqu’un qui soit souverain ; c’est la souveraineté de la raison.

La raison doit être souveraine pour qu’il n’y ait pas une volonté, ou unique, ou multiple, ou très multiple, qui prétende l’être. La raison doit être souveraine encore, parce qu’elle est un principe d’unité, le seul principe d’unité que puisse trouver une nation en dehors de la monarchie exactement absolue. Pascal a dit : « La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion ; l’unité qui n’est pas multitude est tyrannie. » La tyrannie écartée, l’affaire est de réduire la multitude à l’unité, l’affaire est de ramener la multiplicité des sentimens à un jugement unique, c’est-à-dire à une idée claire, c’est-à-dire à la raison. Extraire d’une nation la quantité de raison qu’elle contient, voilà l’office de la classe que sa compétence présumée a mise à la tête des affaires d’un pays. Nous disions plus haut que la classe moyenne devait diriger parce que c’est elle qui fait l’opinion. Il faut aller plus loin. Elle fait l’opinion, c’est sa nature ; elle a à faire la raison, c’est son devoir. Elle transforme, naturellement, le sentiment général en idées, c’est sa faculté propre ; elle doit transformer le sentiment général en idées justes, c’est son office. Elle doit d’abord suivre sa nature, ensuite s’appliquer à son emploi. Ainsi, dans les limites des forces humaines, sera réalisée la vérité politique, c’est à savoir la souveraineté de la raison. Le seul souverain légitime, celui qui est impersonnel, et qui ne permet à personne d’être souverain, sera établi.

Il est à remarquer ici, que, dans sa recherche de l’application de la fameuse maxime : il n’y a pas de souveraineté, que, dans son effort à chercher le souverain impersonnel qui doit empêcher qu’il y en ait un autre, Guizot arrive à une autre théorie que celle où s’était arrêté Royer-Collard, son maître, et que, des deux, c’est Royer-Collard qui est plus historien et Guizot qui est plus philosophe. Royer-Collard disait : il n’y a pas de souveraineté ; personne n’est souverain ; le souverain c’est la charte ; c’est elle qui nous fait citoyens, électeurs, éligibles, députés, pairs ; pourquoi est-elle souverain ? parce qu’elle est l’histoire de France, parce qu’elle a ses premières racines aux temps les plus éloignés de notre existence nationale ; elle est la France éternelle qui oblige le