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Ce brillant animal a pour repoussoir un frère, qui est la seconde et dernière variété de chien indigène. Celui-ci est un chien-loup de forte taille qui ne trotte pas, mais va à l’amble avec une allure de bête des bois, ne sait pas exécuter les modulations de l’aboiement, mais jette un éclat bref qui est toujours chez lui signe d’irritation. Ce quadrupède plébéien, naturellement laid et dépourvu des dispositions du tsin, est mal nourri ou peu nourri. La question sans cesse renaissante du repas n’est pas résolue d’avance pour lui, et les chiens errans de cette catégorie sont nombreux. Cependant ces bandes faméliques ne présentent jamais de cas de rage. Le mot n’existe même pas dans la langue courante.

Aujourd’hui les Japonais élèvent de nombreux représentans des espèces occidentales, dont ils apprécient beaucoup les qualités.

Miss O-Hana-San invite son jeune tsin à donner une idée de son savoir-faire : Gei-wo siru ! dit-elle. C’est-à-dire c’est une créature accomplie, qui possède tous les gei. Les gei sont les six arts par excellence : le cérémonial, la musique, l’équitation, le tir à l’arc, la calligraphie et les mathématiques. Le sujet qui réunit ces talens réalise la perfection.

Et miss O-Hana-San adresse à l’animal des paroles d’amitié et de satisfaction avec la même gravité que si elle avait affaire à un être raisonnable.

Ces manières sont communes aux enfans de tous les pays ; mais on ne voit pas chez nous, comme au Japon, une vieille femme sermonner longuement, à voix basse, un chien ou un chat, lui reprocher l’irrégularité de ses actes ou lui en démontrer l’inconséquence, tandis que la bête, façonnée à ces procédés, écoule attentivement « les yeux dans les yeux, » avec l’air de comprendre. Les Japonais accordent aux animaux domestiques un entendement bien plus étendu que celui que nous leur reconnaissons. Ils leur attribuent la conception, la volonté, les tiennent pour consciens et responsables. En parlant d’eux, ils n’ont pas recours aux tournures dont nous usons pour exprimer les sentimens que nous leur supposons ; ils les traitent en quelque sorte sur un pied d’égalité : Seki-tan (nom de chien) est triste, diront-ils ; il pensait pouvoir se promener après déjeuner, mais la pluie l’empêche de sortir ! — Et le ton sérieux dont ils prononceront cette phrase lui donnera je ne sais quelle signification absente des appréciations analogues que nous pouvons émettre.

L’attachement des Japonais pour leurs familiers à poils ou à plumes est tel qu’après la mort d’un « bon chien, » le maître va souvent commander au bonze une messe en l’honneur du serviteur à quatre pattes décédé. La jeune fille fera enterrer le chat, le