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piquait de belles manières : « La place de la Canourgue, où se viennent rendre par bandes toute la noblesse et mille beaux visages pour y pratiquer d’honnêtes galanteries et y entendre les concerts et les sérénades, est la marque trop visible de la belle humeur des habitans ; » et notre auteur ajoute galamment : « Le beau sexe ne contribue pas peu, de ce côté, à la gloire de Montpellier qui est rempli d’une infinité d’habitans si bien mis et si bien couverts qu’ils témoignent par là qu’ils sont les nobles membres d’une des premières cités de la France. »

A travers un pays sablonneux, parmi des terres ingrates voilées de l’ombre grise des oliviers, on gagnait Nîmes, la dernière ville du Languedoc, en allant vers le Rhône. Nîmes répandait un parfum d’antiquité qui charmait le cœur de tous ces excellens latinistes. Ils vantaient l’amphithéâtre, le plus grand, disait-on, qui fût resté de toute l’antiquité romaine ; on célébrait la Maison Carrée, bâtie par l’empereur Adrien, en l’honneur de sa femme Plotine. On s’étonnait devant la tour Magne, « dont on ne peut savoir le dessein de celui qui l’a bâtie, si ce n’est pour éterniser sa mémoire par un si grand ouvrage, comme voulut faire Nemrod pour la haute tour de Babylone, à qui la tour Magne a beaucoup de ressemblance. »

Mais la merveille des merveilles, c’était le pont du Gard. Ses trois rangées d’arches indestructibles étaient contemplées, examinées, mesurées avec un respect pieux. De pareilles œuvres si supérieures par leur utilité, par leur simplicité, par leur force à tout ce qu’avait laissé le moyen âge, évoquaient, dans des esprits encore tout imbus de la tradition, le souvenir écrasant de la grandeur romaine ; et cet enthousiasme pétrissait, presqu’à leur insu, les esprits et les âmes ; il imposait l’imitation directe et efficace de l’antiquité aux efforts nouveaux du siècle qui commençait.


III

La Provence était la plus noble partie de l’ancienne France. Tout, jusqu’à son nom, indiquait le souvenir de la domination romaine. Elle avait, dans ses mœurs, dans sa constitution, dans l’aspect même de la campagne, quelque chose qui la distinguait des autres provinces du royaume. Sèche, rouge, poussiéreuse et venteuse, elle était peu fertile en blé, mais abondante en fruits et surtout en fleurs. Ses champs répandaient, en toutes saisons, l’arôme acre des orangers, des citronniers, des roses et des jasmins. C’étaient ces « divines senteurs » dont l’obsession fatiguait Mme de Sévigné.