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HALLALI ! 489 fait des jeunes filles, ni même, le plus souvent, des femmes. — Mais elle éprouvait une répugnance invincible à désespérer quelqu’un, — quelqu’un surtout dont elle se savait aimée et qu’elle aimait. Voilà pourquoi, sans doute, elle avait cédé. Et c’était aussi pour cela que, jadis, elle était tombée. — 11 n’y a pas d’excuse plus vraie, comme il n’y en a pas de plus honorable, à la plupart de ces chutes, qui paraissent, d’ordinaire, monstrueuses, soit qu’on les attribue faussement à la dépravation, soit qu’elles restent inexpliquées, énigmatiques. Quant à Frantz Real, c’était l’homme épris, surexcité parles dif- ficultés, fouaillé par la jalousie, l’homme chez qui l’amour devient une idée fixe, tout à la poursuite commencée et qui ne saurait lâcher pied avant la prise: un chasseur ardent, un amoureux enfin. Mais il y en avait un autre, aussi tenace, aussi jaloux, et plus chasseur encore. Celui-là se débattait, jugulé par la certitude de voir ou de savoir, quelque jour, Marie-Madeleine en la possession de Frantz. Il ne pouvait s’habituer à cette idée que la jeune fille, qu’il s’était, — mais si mal et pour si peu de temps ! — appro- priée, serait la proie, la proie définitive et la conquête de l’homme qu’il détestait le plus au monde. Car c’était maintenant une haine iéroce, une haine complète : sentiment d’infériorité vraie et de su- périorité sociale, orgueil blessé, vanité exaspérée, jalousie folle, rancune implacable, tout y était, il n’y manquait aucun ingrédient. Aussi peut-on croire que le baron de Buttencourt rongeait le frein dont l’avait affublé la tardive prévoyance de sa femme. Si celle-ci eût connu la vérité, l’entière vérité, elle n’eût rien imaginé, sans doute, de plus terrible, comme châtiment, que cette obligation d’at- tendre en silence que tout fût consommé. — Mais la patience d’un homme est de courte durée. Celle du baron fut vite épuisée. Au premier prétexte, il s’échappa. Sa femme, qui avait parfaitement remarqué son agitation taci- turne, ne fit rien pour le retenir. Elle était, d’ailleurs, à peu près tranquille sur les résultats de cette fugue. Mais elle crut devoir, avant qu’il s’éloignât, lui décocher un trait quelque peu enduit de venin. — Si vous passez par Nancy, lui dit-elle, pour aller à Paris, voyez donc où en sont les préparatifs du mariage de Madelon. Et dites-lui que j’irai, la semaine prochaine, me mettre à sa disposi- tion pour achever de tout combiner. Cela ne peut plus tarder maintenant. Le fer resta dans la plaie. Et, le soir même, M. de Buttencourt se présentait chez M. Hart. Frantz n’y venant jamais le soir et le père de Marie-Madeleine se mettant au lit de bonne heure, la jeune fille était seule dans