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les druidesses représentaient la religion de la nature, livrée à tous les caprices de l’instinct et de la passion. D’étranges lueurs sillonnaient ces ténèbres, éclairs de voyantes ou rayons perdus de la vieille sagesse des druides.

Au Mont-Bélénus, elles avaient substitué au culte mâle du soleil celui de la lune qui favorisait leurs maléfices, leurs philtres et leurs incantations. Elles s’y livraient la nuit sur l’îlot aujourd’hui appelé Tombelène. Là, le marin téméraire, qui osait approcher avec le flux, voyait quelquefois des rondes de femmes demi-nues agitant des flambeaux. Mais on racontait que, si l’étranger était assez fou pour aborder, l’ouragan chassait son embarcation au large et que d’effrayantes visions le poursuivaient au loin sur les eaux.

Et pourtant le chef gaulois, qui méditait une guerre lointaine, était tenté d’aborder là. Car souvent, malgré les présens donnés aux neuf sènes, malgré les coupes d’argent, les colliers de corail et ces beaux bracelets en or tordu, orgueil des guerriers, malgré l’oracle solennel prononcé dans le Neimheidh par l’aînée des prophétesses, il n’avait obtenu que de vagues prédictions. La seconde vue était rare, le délire sacré se perdait, et les jalouses druidesses étaient avares de leur science. Mais un bruit courait parmi les tribus : « Quiconque forçait l’amour d’une druidesse lui arrachait le secret de la destinée. » Grand sacrilège ! cent fois pour une, on y risquait sa vie. Cette pensée aiguillonnait le Gaulois, ouvrait toutes grandes les ailes de son désir. N’avait-il pas vu de simples colons tributaires tendre la gorge au couteau pour quelques cruches de vin qu’on distribuait libéralement à ses amis avant de mourir ? Lui-même n’avait-il pas exposé son corps blanc et nu, dans la fête des lances, pour voir couler son sang rouge comme une parure ? N’avait-il pas, au mugissement des trompes d’airain, aux notes stridentes du bardit qui ébranle l’air comme une tempête, poussé son cheval hennissant et cabré au milieu des légions romaines ? Un nouveau frisson secouait son corps quand, par une nuit noire, il dirigeait sa nacelle vers l’îlot de koridwen, où des torches mouvantes annonçaient la présence des neuf sènes et leurs danses magiques. Ces flammes errantes au bord du grand océan annonçaient la limite de deux mondes, l’île du trépas. Là le guettait l’Amour ou. la Mort ! .. Non, ses aïeux n’avaient pas frissonné ainsi, à l’escalade du temple de Delphes, quand la foudre tonnait dans la gorge noire d’Apollon !

Sur l’îlot, au milieu d’un cercle de pierres, se mouvaient en ronde et torches en main, les neuf sènes. Elles étaient vêtues de tuniques noires, bras et jambes nus, les unes avec des faucilles d’or au flanc, les autres avec des carquois d’or remplis de