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venir croiser devant la place. Il commença par enlever l’artillerie de siège que nous avions demandée à Alexandrie et qui arrivait par mer. Il la remit aux défenseurs, qui se servirent contre nous de cette excellente artillerie, bien supérieure à tout ce qu’ils avaient auparavant, de telle sorte que nous n’avions au début, pour battre en brèche, que trois pièces de 12. Il amena, à Djezzar, un émigré français, officier du génie distingué, qui dirigea la défense[1]. Il lui donna des canonniers et des pointeurs anglais. Il introduisit, à diverses reprises, des renforts dans la place, et y venait lui-même fréquemment. Enfin, avec les deux vaisseaux dont il disposait, le Thésée et le Tigre, il bombardait tous les jours les ouvrages des Français et gênait beaucoup leurs travaux d’attaque.

La tranchée avait été ouverte le 20 mars, mais la place avait été assez mal reconnue. On arma une batterie, et on crut avoir fait une brèche dans une tour qui formait un saillant. On n’avait pas vu qu’il régnait un fossé autour de la place. On voulut donner l’assaut, la brèche se trouva trop haute, les échelles trop courtes pour descendre dans le fossé ; on y sauta. Avec de grandes pertes, un certain nombre de grenadiers de la 69e avaient réussi à se hisser, par la brèche, dans la tour. O surprise ! Elle ne communiquait plus avec la ville. Les passages avaient été murés, puis pendant qu’ils y étaient réunis, une fougasse, placée sous le plancher, joua et les fit sauter en les tuant tous. Ce premier assaut, donné le 18 mars, fut un échec meurtrier.

Comme l’on ne disposait encore pour battre la place que d’une caronade de 32 et de quatre pièces de 12, le général Caffarelli proposa d’attaquer par la mine. Un premier fourneau ne renversa qu’une faible partie de la contrescarpe. On rentra en galerie et l’on chercha à aller placer un autre fourneau sous la tour. En même temps, on battait l’enceinte pour y ouvrir une nouvelle brèche. Elle ne pouvait guère laisser passer que deux hommes de front, quand, le 1er avril, un nouvel assaut fut donné sans plus de succès que le premier. Pendant l’exécution de ces travaux poussés avec précipitation, les Turcs faisaient des sorties fréquentes qui étaient toujours vigoureusement refoulées dans la place, mais on perdait du monde, même dans les tranchées, car pour aller plus vite, on ne leur avait donné que 1m, 20 de défilement.

On manquait de boulets, on faisait rechercher par les soldats, à qui on les payait, ceux que lançaient les bâtimens anglais ou les canons de la place. Les vivres aussi devenaient rares, parce que

  1. Ce Français indigne s’appelait Phélippeaux et avait été le camarade du général Bonaparte à l’École militaire de Paris. (P. V. R.)