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pas le jésuite qu’on jouait à son tour, lorsque Tartufe exposait passionnément à Elmire :


L’art de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention ?


Mais la vérité, plus conforme à tout ce qu’on vient de voir, était que Molière n’avait point fait de distinction ; et, tous dévots, tous ennemis du théâtre, tous hostiles à la nature, le fait est qu’il les confondait tous, — jansénistes et jésuites, Escobar avec Arnauld, Pascal avec Bourdaloue, — dans la dérision hardie qu’il faisait de la dévotion ou plutôt de la religion même. S’ils avaient pu s’y méprendre un instant, c’est ce qu’ils reconnurent tous quand, après bien des difficultés, Tartufe, en 1669, parut enfin publiquement sur la scène. L’épreuve de la représentation décida du sens de la pièce. Jésuites ou jansénistes, ils se sentirent également atteints ; et c’est ce qu’oublient ceux qui ne veulent voir encore aujourd’hui dans Tartufe qu’une machine dirigée contre Port-Royal : que personne n’en fut plus indigné, ni ne traduisit plus éloquemment la douloureuse indignation de tous les « vrais dévots, » que Bourdaloue, dans son Sermon sur l’hypocrisie.

Quant à la question maintenant de savoir si Molière a « trompé » Louis XIV, et, si le roi, dans toute cette affaire, a donc été « la dupe de son valet de chambre, » elle est jolie, mais elle est naïve ; et, de la proposer en ces termes, c’est être bien dupe soi-même des grands mots dont on use. Car, pourquoi Molière n’aurait-il pas trompé Louis XIV ? ou pourquoi Louis XIV n’aurait-il pas manqué de perspicacité ? Mais on sait de reste que, si le roi ne vit pas le danger, il le soupçonna, puisqu’il hésita cinq ans durant à permettre la représentation de Tartufe ; et Molière, de son côté, n’eut pas besoin de tromper son maître : il l’inquiéta seulement sur ses propres plaisirs, et, dans les ennemis du théâtre, il n’eut qu’à lui montrer les censeurs silencieux de ses propres désordres. Même, à ce propos, n’a-t-on pas pu dire que Louis XIV avait « commandé » Tartufe à Molière ? Rapin l’affirme dans ses curieux Mémoires. Ce qui est du moins certain, c’est que, de tout temps, avant d’être une règle de conduite intérieure pour lui, la religion a été pour Louis XIV une affaire d’état. Longtemps encore après Tartufe, dans la question des libertés de l’Eglise gallicane, il ne craindra pas, pour faire triompher sa politique religieuse, de menacer de pousser jusqu’au schisme, s’il le faut. « Évêque du dehors, » il n’a jamais laissé passer l’occasion, quand elle s’offrait, de faire sentir aux représentans de la religion que sa volonté devait demeurer