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effet à Pascal, n’est-ce pas aux Pensées, alors parues depuis cinq ou six ans, n’est-ce pas enfin aux moralistes chrétiens, protestans ou jansénistes, que Spinosa répond dans les lignes suivantes ?


La plupart de ceux qui ont jusqu’ici traité des passions de l’homme et de la morale semblent en avoir parlé, non pas du tout comme de choses naturelles et réglées à ce titre par les lois de la nature, mais comme de choses qui seraient en dehors de la nature. Ou plutôt, ils se représentent l’homme dans la nature comme un empire dans un autre… C’est pourquoi, bien loin d’attribuer l’inconstance ou la faiblesse de l’homme aux lois de la nature, ils les imputent je ne sais à quel vice de la nature humaine sur laquelle, à ce propos, les uns se lamentent, les autres s’égaient ou la méprisent, ou finissent par la prendre en haine. (Éthique, III, Préambule.)


Voilà bien le cas des protestans au milieu desquels vivait l’auteur de l’Ethique, voilà le cas des jansénistes, et voilà le cas aussi de l’auteur des Pennées. Mais voilà surtout le témoignage explicite et authentique du progrès qu’avait accompli, dans la première moitié du XVIIe siècle, la philosophie de la nature, et c’est ce qu’il faut savoir, si l’on veut savoir avec exactitude quel était, entre 1660 et 1680, le fond de la pensée de nos « libertins. »

Ils ne croyaient pas précisément que la nature fût bonne, au sens où l’entendra plus tard l’auteur de la Nouvelle Héloïse et de l’Emile, mais ils ne croyaient pas non plus qu’elle fût mauvaise. Ils professaient seulement qu’elle était la nature, que ses inspirations ou ses conseils ne sauraient en général différer de ceux de la sagesse :


Nunquam aliud natura, aliud sapientia dicit ;


et surtout ils disaient, — c’est l’expression de La Mothe Le Vayer, l’un des amis particuliers de Molière, — que de vouloir lui résister, c’est prétendre ramer contre le cours de l’eau. Non pas d’ailleurs qu’on doive toujours la suivre, ni toujours obéir à ses impulsions :


Un certain Grec disait à l’empereur Auguste
Comme une instruction utile autant que juste
Que, lorsqu’une aventure en colère nous met,
Il nous faut avant tout dire notre alphabet,
Afin que dans ce temps la bile se tempère
Et qu’on ne fasse rien que l’on ne doive faire…


Les conseils de la nature ne sont pas toujours opportuns, et ils ne sont pas toujours clairs. Mais, en ne la suivant pas, il faut prendre