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nous partîmes. Le lendemain, de grand matin, nous prenions la mer. Nous étions encore en vue de Rosette, quand Malem-Jacob fut pris subitement de violentes coliques ; deux heures après, il était mort.

On pensa généralement qu’il avait été empoisonné, par ordre du capitan-pacha, dans la tasse de café qu’il avait prise à son bord. Était-ce de ce même café qui m’avait été offert ? Je ne le pense pas. Il est probable que l’on avait mis quelque poison violent dans la tasse du général (ce qui se voit souvent en Orient) et que l’on n’en aurait pas mis dans la mienne. En tout cas, je fus bien aise de m’être abstenu.

Nous arrivâmes, le jour même, sur la rade d’Aboukir, où je m’embarquai sur la frégate anglaise la Pallas. Elle mit trente-sept jours à nous amener à Marseille. Après avoir fait quarantaine, nous y débarquâmes le 15 septembre 1801.

L’expédition d’Égypte avait duré, pour nous, trois ans trois mois et neuf jours.

Ainsi se termina l’expédition d’Égypte, et elle ne pouvait avoir d’autre issue. Heureux ceux qui, en petit nombre, en revinrent, après avoir conservé intact l’honneur des armes. Sur les 36,000 hommes qui avaient été envoyés en Égypte, le quart à peine était encore valide. Indépendamment des pertes faites dans les combats, le climat et la peste nous avaient fortement éprouvés. La peste, surtout, avait fait, parmi nous, de nombreuses victimes et elle aurait pu anéantir notre armée en une seule campagne.

On ne comprend pas les illusions des hommes qui nous envoyèrent en Égypte et qui, connaissant la supériorité de la marine anglaise, devaient bien prévoir que nous y serions bloqués dès le début. Comment avaient-ils pu penser qu’une armée de 36,000 hommes, réduite à 32,000, après l’occupation de Malte, ne se recrutant pas, ne pouvant recevoir aucun secours de matériel ou d’argent, pourrait résister longtemps aux forces de l’empire turc, unies à celles des Anglais et à l’hostilité de la population entière de l’Égypte ?

Sa bravoure et son dévoûment avaient soutenu, un certain temps, cette armée contre tant d’ennemis, mais après trois années de luttes, de victoires et de réelles souffrances, elle était épuisée et ne pouvait plus échapper à sa destinée.


Colonel VIGO ROUSSILLON.


L’expédition d’Égypte a exercé une influence considérable sur les événemens politiques et militaires du XIXe siècle.