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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/875

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IV

Stein arrivait à Memel le 30 septembre. Il eut, le 1er octobre, une entrevue avec le roi, qu’il trouva fort découragé, et avec la reine, qu’il vit « impressionnable, mélancolique, à la fois pleine de préoccupations et d’espérances. » Dans cette entrevue, il fixa sa situation. Il obtint l’assentiment du roi à ses projets politiques et se fit attribuer, par l’ordre de cabinet du 4 octobre, les pouvoirs les plus étendus. Il devint, ainsi que Hardenberg l’avait été quelques mois plus tôt, un véritable dictateur. Il aborda aussitôt l’examen des projets de la commission immédiate. Il n’hésita pas à étendre au royaume entier la suppression de la sujétion héréditaire, à limiter la faculté laissée aux propriétaires nobles d’adjoindre les tenures rurales à leur faire-valoir direct. Il s’appropria, sur la protection à accorder aux petits cultivateurs, les vues de Stagemann, laissant d’ailleurs à des instructions ultérieures le soin de préciser. Neuf jours après son arrivée, il soumettait l’édit à la signature de Frédéric-Guillaume III.

L’édit, qui fut signé par le roi le 9 octobre 1807, avait plus encore le caractère d’un acte politique que d’une réforme sociale. C’était, en tout cas, une réforme sociale d’une portée limitée. L’importance réelle de l’édit venait surtout des tendances nouvelles dont il était le premier indice. Les idées d’émancipation sociale avaient été souvent et depuis longtemps, agitées en Prusse. Au milieu de résistances de tout genre, les souverains avaient réalisé vers leur application pratique quelques progrès. Jamais encore elles n’avaient fait un pas aussi décisif. Pour la première fois, l’Etat retirait de la caste privilégiée sa main protectrice et rendait, en soulevant légèrement le poids de sa réglementation oppressive, quelque latitude au libre jeu des initiatives individuelles.

Stein a eu longtemps à lui seul tout l’honneur de l’édit du 9 octobre 1807 et a personnifié en quelque sorte l’œuvre de la réforme agraire. Son rôle a été récemment défini avec plus d’exactitude. Les polémiques engagées par les héritiers des tendances provinciales et politiques de Shön, les publications officielles qui ont fait effort pour attribuer aux Hohenzollern la paternité presque exclusive des progrès accomplis dans leur royaume, ne laissent plus à Stein le mérite d’une conception ou d’une initiative très originale. Le mémoire qu’il avait rédigé durant sa retraite à Nassau indique clairement que les idées de réformes administratives et gouvernementales le préoccupaient plus alors que les idées de réformes sociales. Lorsqu’il arriva à Memel, la commission immédiate avait préparé la réalisation des projets depuis longtemps mûris.