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s’accomplir en Prusse. Ce mémoire, que Frédéric-Guillaume lui avait demandé avant son départ, qu’il avait rédigé à Riga avec Altenstein et Niebuhr et qu’il présenta au roi en septembre, a une tout autre portée que celui de Stein. Le mémoire de Stein n’est point, comme le rapport de Hardenberg, une étude « sur la réorganisation de l’État prussien. » L’auteur a choisi un titre moins large et plus compliqué : « Sur la réforme de l’administration supérieure et de l’administration provinciale, en ce qui touche les matières de finance et de police, dans l’État prussien. » Ce qui absorbe évidemment ses préoccupations, ce sont les défectuosités qu’il a relevées dans le fonctionnement du gouvernement prussien. Il voudrait apporter quelque ordre et quelque unité dans ce mécanisme gouvernemental où l’existence et l’intervention constante du cabinet, où l’organisation quasi-fédérative des ministères provinciaux, où l’enchevêtrement des attributions réelles et des attributions territoriales ont jeté de si singulières complications.

Il y a cependant une pensée politique dans le mémoire de Stein. Lui aussi, il veut « utiliser les forces qui sommeillent ou sont mal dirigées, établir l’accord entre l’esprit de la nation, ses vues, ses besoins et l’esprit des fonctionnaires chargés de gérer les intérêts généraux. » C’est ainsi qu’il compte éveiller « l’esprit de collectivité, » si faible en Allemagne, « le dévouement à la patrie, le sentiment de l’indépendance ou de l’honneur national. » Il juge indispensable de briser les entraves que la bureaucratie impose à l’essor de l’activité humaine. « Il faut, dit-il, détruire cet esprit d’avidité, de rapacité, cet attachement étroit au mécanisme qui est le trait distinctif de la bureaucratie. Il faut accoutumer la nation à administrer elle-même ses propres affaires, la sortir de cet état de tutelle où la tient une administration servile et agitée. »

Donc, s’il est pénétré de ce qu’Altenstein appelle la nécessité de mettre en jeu les forces sociales inutilisées, die Idée des Erweckens des Schlafenden, c’est par une réforme politique plutôt que par une réforme sociale qu’il songe à les susciter. Le but de cette réforme politique, ce n’est point encore le self government des Anglais ; c’est quelque chose de plus que la décentralisation administrative : c’est la participation du pays à l’administration proprement dite, la Selbst-Verwaltung.

Les Allemands ont, en effet, tantôt raillé les théories abstraites de justice sociale pour lesquelles se passionne l’esprit français, et taxé d’individualisme la nation qui plaçait la déclaration des droits à l’origine de son nouvel état politique, tantôt, au contraire, incriminé le génie centralisateur de la France.

Dans l’esprit de Stein, l’administration du pays par lui-même