Le mémoire de Nassau avait été écrit en juin, avant la fin de la crise. Le successeur de Hardenberg arriva à Memel, à la fin de septembre, dans le même état d’esprit. « Il est certain, écrivait-il alors, qu’en éloignant la nation de toute participation à la gestion de ses propres intérêts, on a complètement éteint l’esprit de collectivité. Une administration gérée par des fonctionnaires soldés n’y supplée point. Il faut un changement complet dans la constitution. » — « En France, disait-il encore, le mécanisme bureaucratique est coûteux, pénètre partout. Il est conduit par la volonté arbiti d’un seul homme. »
Qu’il s’agît de la France ou de la Prusse, les jugemens de Stein étaient faussés par la même erreur. Il ne savait point reconnaître que la France, malgré tous les vices de l’organisation impériale avait fait, par la révolution sociale, un pas de géant vers la participation de la nation à la gestion de ses affaires. Il ne vit pas avec plus de netteté qu’en Prusse l’affranchissement social était le prolégomène indispensable des réformes politiques qu’il envisageait. Avant de songer à faire une part à la nation dans la direction politique ou même dans l’administration, il fallait émanciper les élémens sociaux encore asservis par l’oppression privée, dernier legs de la féodalité.
Seeley reproche au premier ministre prussien, dans la monographie qu’il lui a consacrée, de n’avoir pas compris la nécessité d’une réforme profonde au lendemain des désastres. Il serait plus juste de dire que Stein se trompa sur le caractère essentiel de la réforme à entreprendre. Cette erreur est des plus sensibles dans le programme qu’il traça à Nassau et qu’il apporta à Memel.
Hardenberg était arrivé depuis le mois de septembre 1807 à une conception beaucoup plus large de la situation. Il l’expose magistralement dans son rapport au roi, dans ce testament politique qui devint le programme de son administration ultérieure.
« Les événemens, écrit-il, qui depuis plusieurs années excitent notre étonnement et apparaissent à nos faibles esprits comme d’effroyables désordres se rattachent aux plans d’une sage providence. Cette pensée doit calmer nos esprits. S’il n’est pas donné à nos regards de saisir l’ensemble de ce plan, nous pouvons cependant discerner le but : détruire partout ce qui est faible, suranné, impuissant, et suivant une évolution qui est aussi celle du monde physique, éveiller, animer, parfaire de nouvelles forces pour de nouveaux progrès.
« L’État qui réussira à concevoir l’esprit véritable du siècle, qui parviendra à se faire sa place tranquillement, sans secousse violente, par la sagesse de son gouvernement, dans ce plan providentiel, acquerra par là même d’immenses avantages, et ses habitans