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pourront bénir ceux à la sagesse desquels ils devront ces bienfaits.

« La révolution française, dont les guerres actuelles ne sont que le prolongement, a donné à la France, au milieu d’orages et de scènes sanglantes, un essor imprévu. Les forces qui sommeillaient ont été éveillées. Le vieil organisme, avec ses misères et ses faiblesses, avec ses crimes et ses préjugés, avec ce qu’il contenait de bon aussi, a été brisé et détruit.

« On s’est fait l’illusion de croire que l’on résisterait plus sûrement à la révolution en s’attachant étroitement à l’organisation ancienne, en pourchassant sans relâche les principes nouveaux. L’on a ainsi singulièrement favorisé la révolution et facilité son développement. La force de ses principes est telle, en effet, ils sont si généralement reconnus et répandus, que l’État qui refusera de les accepter sera condamné à les subir ou à périr. Même l’avidité, l’ambition, la<passion dominatrice de Napoléon et de ses auxiliaires sont subordonnées, en dépit d’eux-mêmes, à cette puissance.

« Ainsi une révolution dans le bon sens du mot, conduisant à l’anoblissement de l’humanité, réalisée par la sagesse du gouvernement, et non par une impulsion violente du dedans ou du dehors, tel doit être notre but. Des principes démocratiques dans un gouvernement monarchique, telle me paraît être la forme appropriée à l’esprit du temps. »

Ainsi s’exprimait au mois de septembre 1807, devançant son temps, l’homme qui venait d’être le premier ministre de l’une des monarchies européennes d’ancien régime, et il semble que ces vues sur l’époque au sein de laquelle il vivait soient celles même de la postérité. Comparées à ce langage, les idées de Stein, vers la même date, apparaissent comme singulièrement étroites.

Sans doute Hardenberg n’avait pas toujours pensé ainsi. En 1800, il s’était associé, au moins par sa signature, à la résistance du directoire général contre les réformes projetées par le roi. Au printemps de 1807 encore, il avait, s’il en faut croire Shön, refusé de faire appel à la nation par de grandes déclarations législatives. Il était certainement beaucoup moins d’une pièce, beaucoup plus accessible aux impressions du dehors, beaucoup plus variable que Stein et que Shön. Stein et Shön étaient foncièrement Allemands. Ils s’étaient formés, l’un sur les rives du Rhin, l’autre au fond de la province prussienne, aux deux extrémités de l’empire, mais sur le territoire allemand. On suit le développement régulier et normal de leurs idées. Par la nature de leur esprit, comme par les particularités de leur caractère, ils trahissent leur origine. Hardenberg est beaucoup plus cosmopolite ; ses variations mêmes établissent