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sont peu touchées de l’amitié, c’est qu’elle est fade quand on a senti de l’amour, » en ajoutant bravement : « C’est qu’il y a de tout dans l’amour : de l’esprit, du cœur et du corps. » Ailleurs, elle donne à la même pensée une forme plus plaisante, et, en marge de la maxime CCCCLXXI : « Dans les premières passions, les femmes aiment l’amant, et dans les autres elles aiment l’amour, » elle ajoutera ces mots : « Et autre chose itout. » Elle ne paraît cependant pas entendre l’amour tout à fait de la même façon que La Rochefoucauld. Elle applaudira quand il dit : « L’amour prête son nom à une infinité de commerces qu’on lui attribue et où il n’a non plus de part que le doge à ce qui se fait à Venise, » et elle complète par cette remarque, qui vaut bien la maxime elle-même : « L’amour ne prête pas son nom, mais on le lui prend. » Mais quand il lancera cette maxime hardie, dont, à l’entendre de certaine façon, on trouverait le développement chez Schopenhauer et chez d’autres encore : « Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié, » elle n’est plus d’accord. « Je ne comprends pas cela, » dira-t-elle d’abord ; puis elle ajoutera, comme après réflexion : « Bon pour l’amour violent et jaloux, qui, selon beaucoup de gens, est le véritable amour. » Le véritable amour ! Cette âme pure et délicate ne montre-t-elle pas comment elle l’entendait et comment elle aurait aimé à le goûter lorsqu’à la maxime CXIII : « Il y a de bons mariages, mais il n’y en a point de délicieux, » elle fait cette réponse : « Je ne sais s’il n’y en a point de délicieux ; mais je crois qu’il peut y en avoir. »

Mêmes nuances lorsqu’il s’agit des femmes. On sait combien les Maximes sont dures pour elles. L’abbesse de Malnoue n’avait pas tort de s’en plaindre. Cependant, Mme de La Fayette ne s’en va pas sottement prendre sur tous les points leur défense. Elle sait qu’il y en a quelques-unes de dévergondées et beaucoup de coquettes. La coquetterie lui inspire même cette réflexion que ne désavoueraient pas nos psychologues : « Qu’elle est plus opposée à l’amour que l’insensibilité. » Mais il y a certaine façon par trop dédaigneuse de parler des femmes qu’elle ne laisse jamais passer sans protestation. « Il y a peu de femmes, dit la maxime CCCCLXXIV, dont le mérite dure plus que la beauté. » « C’est selon l’usage que vous voulez faire de leur mérite, » répond-elle spirituellement. La même maxime, il est vrai, porte cette autre annotation, écrite sans doute dans une heure de tristesse et qui semble contredire un peu la précédente : Experto crede Roberto. Mais ne la retrouve-t-on pas également bien dans cet enjouement et dans cette mélancolie ? N’est-ce pas bien elle encore qui, à l’impertinente maxime CCCLXVII : « Il y a peu d’honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier, » répond fièrement : « Il n’y a pas de métier plus lassant lorsqu’on le fait