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Wilhelm Meister et la Doctrine de la science ouvrent la période romantique. Une ère nouvelle commence pour la littérature. L’ironie, comme on voit, n’était que dans la forme, et Schlegel soutiendra fort sérieusement ce qu’il avance.

Avec les écrivains romantiques allemands, il faut s’attendre à ces surprises. Rien ne leur a plus manqué que le sens de la mesure dans la pensée et, davantage encore, dans l’expression. Ils se sont fait une idée exagérée, presque comique, de l’importance de leur œuvre, et de la place qu’elle occuperait dans l’histoire du monde. Elle vaut néanmoins qu’on s’y arrête quelque temps. M. Robert Haym, dans une magistrale étude et avec une patience infinie, a écrit l’histoire de l’école romantique. Il en a recherché les origines, il en a suivi pas à pas le développement, avec une richesse d’informations et une sûreté de méthode qui se sont retrouvées et que nous avons admirées dans sa biographie de Herder[1]. Pourtant, depuis vingt ans que M. Haym a achevé son ouvrage, un certain nombre de documens alors inédits ont vu le jour, entre autres les lettres de Frédéric Schlegel à son frère, qui viennent d’être publiées, et qui contiennent, parmi une foule de détails insignifians, quelques renseignemens précieux. Les projets littéraires des deux frères, — et Dieu sait s’ils en ont formé ! — passent presque tous sous nos yeux dans cette volumineuse correspondance. Plus d’un point obscur de leur œuvre et plus d’une énigme de leur caractère y trouve son explication. Nous y chercherons ce que les premiers romantiques ont prétendu introduire de nouveau dans la littérature. La question a un intérêt général, puisque, par ordre de date, le romantisme français a suivi le romantisme allemand, et que Mme de Staël a fort bien connu, compris et caractérisé ce dernier : M. Brunetière montrait encore tout récemment comment Mme de Staël, non moins que Chateaubriand, a préparé et annoncé le mouvement romantique français. Nous examinerons enfin ce que l’école romantique allemande a laissé de définitif : car, entre les intentions et les œuvres, l’écart est demeuré immense. C’est là une « ironie » à laquelle Schlegel n’avait pas songé.


I

Il est assez malaisé de dire exactement, en peu de mots, ce que l’école romantique allemande s’était proposé, et nous rencontrons

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1887.