ici une difficulté singulière. Assez souvent l’histoire littéraire hésite et demeure perplexe, parce qu’elle se heurte à la discrétion jalouse d’écrivains qui n’ont livré d’eux-mêmes au public que leur œuvre. Les romantiques allemands nous jettent dans un embarras contraire. Ils ont trop dit à quoi ils visaient. Comme ils ne se piquent guère d’être précis, ni de rester conséquens avec eux-mêmes, comme il ne leur déplaît point de laisser leurs théories dans un clair-obscur où l’ombre l’emporte sur la lumière, nous avons grand’ peine à dégager de leurs dires des formules nettes et définitives. S’ils n’avaient pas tant et si diversement répété ce qu’ils entendent par « romantisme, » et que nous eussions simplement à rechercher leur esprit dans leurs ouvrages, la tâche à coup sûr n’en serait que plus simple.
Avant tout, ce sont des novateurs. Ils le savent, ils veulent l’être. La sévérité de leur critique le proclame. Très peu de leurs contemporains trouvent grâce devant eux, et les plus grands ne sont pas épargnés. Les romantiques se flattent d’apporter un idéal esthétique plus complet, plus élevé et plus moderne. Mais il ne faut pas s’y méprendre : ils ne songent pas, comme feront plus tard les romantiques français, à se révolter contre la tyrannie de l’esprit classique. Ce n’est point du tout une levée de boucliers contre l’antiquité, ses admirateurs et ses imitateurs. Personne parmi eux ne crie :
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ?
Au contraire, l’antiquité n’a pas de dévots plus sincères et plus ardens. Presque tous sont des hellénistes et des érudits. Frédéric Schlegel, par exemple, le plus romantique des romantiques, après avoir longtemps cherché sa voie, se croyait né pour l’étude de l’antiquité grecque. À Dresde, il se partage entre le musée et la bibliothèque, et la bibliothèque a la part du lion. Il y travaille avec passion, et bientôt il se trouve en état de discuter avec son frère les questions de philologie et de métrique les plus délicates. Ses premiers ouvrages ne traitent guère que des sujets d’érudition : des Écoles de la poésie grecque, — de la Valeur artistique de la comédie grecque, — les Caractères de femmes chez les poètes grecs, etc. Il projetait une grande histoire de la poésie grecque et romaine. « Les Grecs, écrivait-il à son frère, sont le seul peuple qui ait eu du goût. »
Tieck, Wackenroder, Novalis même, sont moins familiers avec l’antiquité ; mais d’autres romantiques renchérissent encore, s’il est possible, sur l’adoration de Frédéric Schlegel devant l’art