n’encourage pas son frère à donner à Lucinde une seconde partie. Mais les adversaires des romantiques ne se sentaient pas obligés à tant de discrétion. Frédéric Schlegel ne les avait guère épargnés, et ils n’ont garde de laisser perdre une si belle occasion de revanche. « C’est du Schlegel tout pur, » écrivait Schiller à Goethe, et il fait malignement ressortir la difformité de cet avorton littéraire. « On dirait une salade de morceaux découpés au hasard dans le Voldemar de Jacobi, dans Stembald et dans un roman français licencieux. » L’impuissance de l’auteur ne se trahit pas seulement par une imitation maladroite. Schlegel, comme il arrive d’ordinaire à ceux qui croient suppléer par la réflexion à l’imagination créatrice, tombe dans la confession et l’autobiographie. On reconnut bien vite, dans les personnages mal dessinés de Lucinde, Schlegel lui-même, Dorothée Veit, Schleiermacher, et le roman n’en parut que plus choquant.
Mais il serait peu équitable de ne juger Frédéric Schlegel que sur Lucinde. Son esthétique et sa critique, fort heureusement, ne ressemblent point à son roman. Dans ses grands articles, et surtout dans les pensées détachées (qui parurent dans le Lyceum et dans l’Athenæum), on ne saurait méconnaître un esprit vigoureux, original, plein d’idées, parfois heureusement exprimées. Il excelle dans ce qu’il appelle lui-même la caractéristique, c’est-à-dire à fixer d’un dessin rapide une physionomie littéraire, à en faire ressortir les traits dominateurs, à signaler le fort et le faible d’un esprit. S’il est obscur souvent, ce n’est pas faute de pouvoir aller au bout de sa propre pensée ; ce n’est pas par indécision ou faiblesse. C’est plutôt par dédain pour une clarté qui est le seul mérite de tant d’écrivains à qui il ne veut absolument pas ressembler. Rien ne lui déplairait tant que d’être clair comme on l’est à la Bibliothèque allemande universelle, à la façon de Nicolaï et de ses collaborateurs, que la parfaite nullité de leur pensée n’oblige à aucun effort d’expression : c’est la transparence absolue du vide. Puis Schlegel a un faible pour l’humour, pour le paradoxe, pour l’ironie. Il préférera toujours, pour rendre sa pensée, la forme la plus bizarre, non pas tant afin de piquer la curiosité, et par une sorte de coquetterie littéraire, que par principe, et pour être plus « romantique. « Il manque son bût en le dépassant, et ses paradoxes ne sont souvent que des lieux-communs retournés. Il ne s’aperçoit pas que son horreur pour la platitude et la banalité le conduit à l’affectation et au pédantisme. Voilà le défaut qui dépare ses meilleures qualités, et, puisque les romantiques prenaient tant de plaisir aux vieux contes, on pourrait dire qu’à la naissance de Frédéric Schlegel les bonnes fées lui apportèrent en foule leurs