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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/204

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différences de quelques centimes seulement et qu’il faut serrer le prix de revient à son extrême limite ! Et ce n’est pas seulement la ruine de nos tissages de soie, c’est une perte considérable pour nos filatures de coton, qui verront disparaître leur principale clientèle. Il ne faut pas oublier, en effet, que nos tissages de Lyon, de Saint-Étienne, de Paris, de Nîmes, de Calais, de Roubaix, achètent plus de 40 millions de francs de filés de coton dans le Nord, le Pas-de-Calais, les Vosges. L’industrie cotonnière de ces départemens sera donc atteinte à son tour.

Les partisans des droits sur les soies ne peuvent pas contester ces dangers ; ils croient les atténuer par l’établissement d’un régime (admission temporaire ou drawback) qui sauvegarderait les intérêts de l’exportation française au moyen d’un remboursement, à la sortie de l’étoffe, des droits perçus à l’entrée de la soie.

Par malheur, ce système est impraticable pour toutes les soieries, mais surtout pour les étoffes mélangées qui sont les plus nombreuses, à cause de la difficulté de titrer la quantité de chaque matière première, soie, coton ou produits tinctoriaux en surcharge. Arriverait-on, par le progrès de la science, à déterminer à 5 ou 6 pour 100 près la proportion des divers élémens, il faudrait encore expertiser des milliers de colis postaux contenant quatre, cinq, dix objets différens, fichus, foulards, rubans, parapluies, confections ? Que d’obstacles, que de retards dans les expéditions, alors que le temps est un des facteurs les plus importans dans cette lutte industrielle, car Paris donne les indications de mode, et les centres industriels de toute l’Europe partent ensemble sur ces indications qui leur sont fournies par les commissionnaires ! Tout récemment les fabriques allemandes nous ont enlevé en Amérique une vente considérable parce qu’elles ont livré quelques jours avant les nôtres un nouveau tissu qui était très demandé. Que sera-ce lorsque l’exportateur français devra faire stationner ses marchandises en douane du Havre, de Bordeaux et de Marseille pendant que les Allemands et les Suisses expédieront à toute vapeur par Anvers et Gênes sans subir le moindre arrêt ? Et il faudra des chimistes-experts dans tous les bureaux des douanes. Quel embarras et quelle responsabilité pour l’État !

Ce n’est pas tout. En supposant même, chose invraisemblable, que, par leur ingéniosité, par l’émigration des tissages dans les campagnes, par l’abaissement du prix des façons, la fabrique française arrive encore à produire dans des conditions normales, un préjugé commercial aura été créé contre elle au dehors. Elle sera représentée comme hors d’état de lutter ; pendant la période de crise qu’elle traversera nécessairement, ses concurrens créeront