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un courant en faveur des industries suisses, allemandes, italiennes ; ils feront valoir leurs conditions économiques meilleures. Enfin, dernier coup et non moins redoutable, le marché des soies de Lyon, qu’on a créé avec tant de peine, qui offre tant d’avantages pratiques à nos fabricans pour le choix de leurs matières premières, qui a tant contribué aux incessantes modifications que les tissages ont pu apporter dans leurs combinaisons d’étoffes, ce marché ne pourra pas résister à un droit de 8 francs. Les soies d’Asie suivront celles d’Italie, le marché commercial de la soie s’établira définitivement à Milan, à Londres, où nos fabricans devront désormais aller chercher leurs matières premières. Et comment fabriquer vite et à bon marché dans ces conditions ? Nos capitaux perdront eux-mêmes un de leurs emplois les plus utiles et la richesse nationale une circulation de plusieurs centaines de millions de francs.

On répond qu’on pourra établir des séries de types, comme cela se passe à l’importation pour certaines étoffes qui paient des droits d’entrée en France ; mais la variété des étoffes de soie mélangée ou surchargée rend l’établissement de ces types plus difficile, et, de plus, ce régime manque d’équité. Comment imposer aux experts des douanes la vérification de milliers de types différens ? Et l’on en compte plusieurs milliers. La vérification serait impraticable et, de plus, elle favoriserait des catégories de fabricans au détriment des autres ; elle serait ruineuse pour ceux-ci, avantageuse pour ceux-là ; enfin, elle laisserait subsister tous les grands inconvéniens de la prise d’échantillon, du retard dans la livraison et du préjugé commercial créé contre toute industrie soumise à de pareilles entraves. Il serait plus sincère de déclarer qu’on est résolu à sacrifier l’exportation des tissages français, c’est-à-dire une valeur de plus de 300 millions de francs, représentant plus de 100 millions de francs de salaires pour nos travailleurs de trente départemens.

Cette perspective est, du reste, entrevue par certains partisans des droits sur les soies, et, pour compenser la perte subie par les exportateurs, ils offrent de réserver à ceux-ci le monopole du marché français par des droits prohibitifs sur les soieries étrangères. Par malheur, la compensation serait faible, car nos importations de soieries n’ont pas dépassé 60 millions de francs, et dans ce chiffre figurent des marchandises entrées en transit ou envoyées dans nos fabriques d’impressions ou d’apprêt pour être réexportées. Il faut donc évaluer à 50 millions de francs au maximum la valeur des soieries étrangères consommées en France, de telle sorte qu’un droit prohibitif sur ces tissus de soie procurerait au maximum 50 millions de francs d’affaires à nos tissages, alors que le droit parallèle sur les matières premières leur enlèverait toute leur