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exportation, c’est-à-dire 300 millions de francs. Perte nette : 250 millions.

Ainsi, pour un bénéfice aléatoire de 5 millions de francs, pour une maigre augmentation de revenu de 0 fr. 50 par kilogramme de cocons, c’est-à-dire de 15 à 20 francs par an au plus par producteur, bénéfice que celui-ci peut se procurer sûrement par d’autres voies, on s’exposerait à atteindre profondément, à ruiner, on peut le dire, deux industries : le moulinage et le tissage. On leur enlèverait bénévolement une vente de 250 millions de francs, représentant plus de 100 millions de francs de salaires. Ce serait une véritable aberration économique. Ajoutons que ce serait une iniquité. Si l’on met, en effet, en parallèle l’importance des industries rivales, on voit d’un côté la sériciculture occupant environ 150,000 personnes pendant 40 jours par an, c’est-à-dire fournissant à l’activité nationale 6 millions de journées de travail. D’autre part, les moulinages et les tissages font vivre environ 350,000 ouvriers et ouvrières pendant 200 jours par an, soit 70 millions de journées de travail. Si l’on prend 2 fr. 50 comme salaire moyen des uns et des autres, la sériciculture représente donc, comme main-d’œuvre, une somme de 15 millions de francs de salaires, tandis que les moulinages, les tissages et les industries annexes représentent près de 200 millions de francs payés au travail.

Ces derniers chiffres sont pour nous la démonstration la plus évidente de l’imprévoyance et de l’injustice qu’il y aurait à mettre des droits sur les matières premières destinées à nos industries de la soie. Comme nous l’avons démontré, l’État peut venir au secours de la sériciculture sans recourir à cette mesure ruineuse pour le moulinage et le tissage. Il peut fournir gratuitement les plants de mûriers, accorder des primes d’encouragement pour les plantations nouvelles, pour les plus beaux rendemens de cocons ; il peut enfin, il doit même créer des stations séricicoles dans tous les arrondissemens intéressés, de façon à assurer à nos agriculteurs de bonnes graines à bon marché. Ces mesures suffiront amplement à relever la sériciculture française, dans la mesure où cela paraît possible, et elles ne ruineront pas les 350,000 travailleurs qui, dans les vallées du Rhône, de la Loire, à Paris, à Nîmes, à Tours, dans le Nord et le Pas-de-Calais, maintiennent si haut le renom de l’industrie française en gagnant des salaires des plus modestes et des plus disputés.


ALBERT DE LA BERGE.